aurora

Le prénom

Ne m’interrompez pas, laissez-moi vous raconter, c’est gros et je l’ai sur le cœur. Ce truc m’arrive à Montréal et ça m’agace, il ne me lâche pas, il m’encombre ou plutôt il m’embarrasse.  Oui c’est ça ! Ce truc m’embarrasse et je ne peux malheureusement pas m’en débarrasser, impossible il est là et bien-là ! Pourtant, je le connais bien, il y a déjà 32 ans qu’il m’a été donné, enfin imposé par mes parents, pour ne pas les nommer, les rénégats, et ce truc-là, ça se donne une fois et c’est pour la vie ! Pour la vie bon sang de bonsoir ! Ce truc s’appelle Aurore, il est mon prénom et je ne le savais pas si abominablement légendaire au pays du sirop d’érable, pourtant il l’est. Sacre !

Mes amis québécois d’Europe m’avaient pourtant prévenue :

_ Au Québec,  Aurore, c’est notre enfant martyre !

A quoi j’avais inintelligemment répliqué la bouche en cul de poule:

– Qui ça ? Quoi ? C’est qui elle ? C’est quoi ça « l’enfant martyre » ?

J’ai fait comme tout le monde, j’ai ouvert Wikipédia et là, ô rage ô désespoir, j’ai compris qu’au Québec, mon image et mon for intérieur allaient en prendre un sacré coup du tonnerre de Dieu !

Aurore Gagnon dit « l’enfant martyre »

Aurore Gagnon est née en 1909 dans un petit village situé dans le centre du Québec à Fortierville pour être précis. Elle décédera 10 ans plus tard,  victime de maltraitance extrême de la part de sa belle-mère. L’enfant est morte des suites d’un empoisonnement du sang en raison des sévices répétés de la part de cette dernière.

Qui est coupable dans l’affaire Gagnon : le père, la belle-mère, la famille élargie, le voisinage? Aujourd’hui encore, cette interrogation taraude l’inconscient collectif québécois. Le cas d’Aurore a fait couler beaucoup d’encre dans l’histoire sociale du Québec, sans oublier l’impact que cette affaire a eu sur la justice du pays et plus particulièrement dans le traitement judiciaire des affaires de violence familiale sur les enfants.

Une du quotidien québécois: La Presse 15/04/1920
Une du quotidien québécois : La Presse 15/04/1920

Également signe d’un changement des mentalités, le cas d’Aurore a démontré à la société de l’époque que l’honneur peut être bafoué davantage par le silence que par la dénonciation.

Le fait divers qui a le plus marqué l’imaginaire collectif québécois.

Aujourd’hui, au Québec, que vous soyez âgés de 80 ou 20 ans, vous n’êtes pas sans savoir l’abominable histoire de l’enfant martyre. Depuis 1920, la société québécoise n’eut de cesse d’entretenir cette histoire. Pièces de théâtre, romans, films, téléfilms, émissions radiophoniques, biographies, chansons, blogs, thèse universitaire…

Nous, comme des nigauds, en Europe, quand nous évoquons des personnalités québécoises, nous pensons  Céline Dion, Robert Charlebois, Garou, Diane Dufresne, Xavier Dolan, et tous les chanteurs, de toutes les variations de Starmania  mais sapristi, on ne nous a jamais au grand jamais raconté l’histoire tragique d’Aurore Gagnon.

Le DVD du film: " Petite Aurore l'enfant martyre"
Le DVD du film :  » Petite Aurore l’enfant martyre » 1952

Aurore appartient à la culture québécoise

Dimanche dernier, j’ai donc visionné le film de Jean-Yves Bigras,  réalisé en 1952 « La petite Aurore, l’enfant martyre», ainsi que le récent long métrage datant de 2005, « Aurore » de Luc Dionne et j’en suis arrivée à l’horrifiante et à la cafardeuse conclusion, que ces deux archives suffiront à me faire une idée sur l’un des faits divers qui a le plus marqué l’inconscient collectif québécois.

Voyons ! Que dire ? Et bien peut-être que si François Truffaut était toujours vivant, j’aurais aimé qu’il écrive dans les Cahiers du Cinéma, une critique du genre : Pour celles et ceux qui chercheraient à donner à l’un de leurs dimanches ou n’importe quel autre jour de la semaine ou de leur vie d’ailleurs, un concentré de déprime, ces deux « œuvres cinématographiques » seront à la hauteur, en tout cas pour moi, elles m’ont fait descendre dans les abîmes de la tristesse bon marché , et c’est déjà bien trop bas! »

Comment deux films basés sur une si abominable histoire vraie ont connu un tel succès commercial ? Comment sont-ils devenus deux références cinématographiques au Québec? Le long métrage de 1952 a été joué à guichets fermés pendant des mois, une première pour un film québécois, celui de 2005 aura remporté près d’un million de dollars durant sa première fin de semaine en salles.

Plus de doute, Aurore est une icône générationnelle au Québec, et moi dans tout ça ?

Plus de 90 ans que le drame d’Aurore a eu lieu et pendant 11 mois encore, durée de mon visa canadien, mon prénom maudit et moi-même,  nous portons sur nos épaules un mythe et tous les malheurs d’une petite Québécoise de 10 ans. C’est bien ma vaine ! Et dire que la seule torture que ma mère et mon père m’ont infligée enfant se résume à des regards furibonds. C’est dire que rien de tout ça ne m’était prédestiné !

Pourtant, j’ai toujours su que ce prénom ne m’apporterait que des tracas !

Trop de «  A »   chez les Latins :   AaaaRoRaaaa. (Mais bon, c’est comme les paninis,  c’est exotique, c’est de l’italien !)

Trop de « R » pour les Anglo-Saxons : Owowa.(A la manière du chien qui aboie)

Trop de voyelles pour les germanophones : Aüröré. (Les Allemands et leur manie à tout accentuer de leur accent Umlaut ce truc-là « ¨ »)

Trop d’articulation demandée aux personnes ivres: HorrorEeee! Horreureee !

Et enfin, trop de tortures pour les Québécois !

Bonjour enchantée! Je m’appelle Aurore…

Un court mais terrifiant « Ah », suivi d’un effroi intersidéral dans les yeux de mes interlocuteurs, voilà le spectacle auquel j’assiste quand je me présente amicalement et professionnellement aux Québécois. Toujours ce même égarement sur les visages et sur les bouches,  cette même interrogation douteuse et silencieuse! Criss est-elle sérieuse !?!?

On m’a déjà dit… J’ai déjà entendu…

– Bonjour, moi c’est Aurore !

– Ah !

– Oui je sais, Aurore comme Aurore…

– Ah cette Aurore, Pauvre ptite !

*********************

– Bonjour, Aurore,  enchantée !

– Ah !

– Oui, je sais, Aurore comme…

– Attends je regarde si t’as pas des brûlures sur la tête ! C’est correct !

*********************

– Enchantée ! Je m’appelle Aurore !

– Ah !

– Oui, je sais…

– Bah, écoute, tant que tu n’as pas de belle-mère qui te force à manger du savon !

*********************

– Je me présente, Aurore !

– Ah ! Aurore !

– Oui, comme…

– Et comment ça va avec tes parents ?

*********************

Avoir un prénom maudit, et qui plus est être la seule à le porter, a tout de même ses avantages. Premièrement, si un avis de recherche pour un motif quelconque devait être lancé au Canada, je donne aux grandes autorités policières de ce pays à peine 5 minutes pour me retrouver. Deuxièmement, j’ai l’honneur d’être déjà rentrée dans les expressions linguistiques québécoises courantes sous les termes de : «Arrête de faire ton Aurore! », ce qui signifierait: « Arrête de te plaindre pour rien ! ».

Est-il vrai que notre prénom a le pouvoir d’influer sur notre vie ?  Est-ce que choisir son prénom c’est choisir son destin ? Jamais je ne m’étais sentie autant interpellée par toutes ces théories.  Depuis un mois et demi que je me suis installée dans La Belle province, ces interrogations alambiquées n’ont de cesse de me turlupiner l’esprit. J’ai lu qu’il a été scientifiquement démontré qu’aujourd’hui la singularité d’un prénom a un impact négatif pour la personne qui le porte et qu’il exerce une influence sur la nature des interactions sociales qu’elle entretient avec autrui.

MERDE ! Cela signifierait-il que j’ai moins de chance de lier des relations d’amitié au Québec qu’ailleurs ? Cela  sous-entendrait que mon curriculum vitae aurait plus de risque de finir dans le fond d’une poubelle que celui d’une fille, de mon âge, ayant suivi le même cursus scolaire que le mien, française, mais qui se prénommerait Camille, Isabelle ou Céline ?

Un nombre important d’études scientifiques atteste que le prénom affecte l’estime de soi et d’autres facteurs intrinsèques de l’individu. MERDE ENCORE ! C’est quoi ce bordel, la dépression, les bleus aux corps et aux cœurs…Ça va être ça ma vie au Québec !

Aurore, pourtant, ça laissait présager de belles choses… Bref, si ces théories s’avèrent …comme on dit chez moi : « me voilà dans de beaux draps ! » Le temps de ce visa de travail québécois, je vais donc patiemment mettre de côté tous ces magnifiques levers de soleil et autres aurores boréales, je ferai ravaler son « J’accuse » au journal L’Aurore,  je renverrai chez son prince, Aurore, la belle au bois dormant, et surtout je laisserai à mes parents leur idée prodigieuse de m’avoir donné ce prénom en référence à Aurore de Nevers, héroïne du livre de Paul Féval, « Le Bossu »… Effectivement, je ne vous le fais pas dire, tout ce bordel pour une référence littéraire, qu’aucun québécois mais aussi, aucun français ne connait… Sacrilège !

Par pur hasard, hier, mercredi 23 juillet 2014 sur RFI, l’émission 7 milliards de voisins s’est intéressé à la signification de nos prénoms :  » Études, travail, vie personnelle : notre prénom conditionne-t-il inconsciemment notre entourage ? Pourquoi les prénoms français dits classiques remportent-ils plus de mentions au baccalauréat que les autres ? Pourquoi et comment les employeurs sont-ils influencés par les prénoms ? » 

RAPPEL

En France :

Pour faire part d’une inquiétude, alerter sur la situation d’un enfant maltraité ou à risque de l’être, il y a un numéro : le 119. C’est LE service national d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger.

Au Québec :

Directeur de la protection pour la jeunesse. Où s’adresser pour faire un signalement :

  • Le DPJ francophone : 514 896-3100
  • Le DPJ anglophone : 514 935-6196


Il était une fois dans l’Ouest

Existerait-il un jour dans l’année pour remettre concrètement les compteurs à zéro ? Un jour qui comme ça, sans s’y attendre, aurait un peu le même pouvoir que le 1er janvier et ses bonnes résolutions, un jour au milieu de l’année où l’on pourrait quitter le brouillon , effacer l’ardoise, et tout remettre au propre sur une belle page blanche. Ce jour existe, enfin j’ai décidé qu’il existerait et je l’ai même vécu ainsi, il y a quelques jours à Montréal ! Nous étions le 1er juillet 2014 au Canada, jour férié, officiellement pour raison de fête nationale du pays.

Je ne suis résidente temporaire au Canada que depuis un mois, mais une chose déjà ne m’a pas échappé, être Québécois et être Canadien, ce n’est pas la même chose, enfin, de leur point de vue et réciproquement parlant. On m’a donc bien expliqué que le 24 juin, jour de la Saint-Jean-Baptiste, on commémore la fête nationale du Québec et le 1er  juillet celle du Canada…Quand soudain, un Montréalais me précisa l’irréparable:

_ « Mais officieusement le 1er, c’est le jour où toute la gang des Québécois déménage ou emménage ! »

_  Qui ? Quoi ?

N’est pas québécois celui qui ne déménage pas

1er  juillet, midi ! Valises à bout de bras, je sors de mon logement montréalais du Quartier Latin, temporairement prêté par l’amie d’une amie, d’un ami, pour rejoindre ma nouvelle colocation quartier Mile-End. A peine le temps de descendre le maudit escalier en colimaçon de 4 mètres menant de ma porte au trottoir, que j’ai bien cru, en une nuit, avoir été téléportée de Montréal aux souks du Caire.

Montreal, Plateau, 1er Juillet 1930 (Moving day)
Montréal, Plateau, 1er juillet 1930 (Moving day)

L’explication ? Chaque année, le 1er juillet, c’est la même histoire : des milliers de Montréalais déménagent en même temps. La raison de cette transhumance saisonnière ? Une tradition vieille du XVe siècle qui veut qu’au Québec les baux locatifs durent un an et  prennent tous fin le 30 juin.

Sous fond d’hymne national canadien, de commémorations et de flonflons, le 1er juillet, on fait et défait ses cartons. On vide les caves et dépoussière les greniers. Et dans l’élan de ce chambardement général, on utilise la rue pour entreposer ses meubles inutiles, laids, en trop, en double, en triple. Le résultat de ce grand capharnaüm ?

Les maisons montréalaises «dégueulent», tripes et boyaux sur leurs trottoirs

1er juillet. Moving day à Montréal
1er juillet. Moving day à Montréal .©A.G

 Alors pour le Québécois, tout est normal, mais pour la Française que je suis, il y a dans cet acte un patriotisme bizarroïde. Transposez la même chose en France, le jour du 14-Juillet et vous verrez, ça va vous faire tout bizarre.

Si les camions de déménagement pouvaient contenir tout ce que l’on voudrait, ça se saurait !

A Montréal, l’été est enfin bien là ! On se lave de ses péchés hivernaux. Les festivités estivales battent le pavé montréalais ! C’est le 1er juillet qu’on déménage pour mieux emménager, c’est ce jour-là et pas un autre où l’on se vide pour mieux se remplir ! La voilà donc la belle page blanche pour recommencer !

14h ! Dans la rue, on troque un canapé pour un matelas, une lampe de chevet pour une machine à café, on serait prêt à refiler gratuitement un frigo à ses voisins, histoire de faire de la place dans la camionnette de location. On porte, on pousse et on tire. On embarque en voiture, à vélo, en camion, à pied, en métro. Le locataire montréalais purge son intérieur, sue à grosses gouttes et sait aussi parfaitement enrôler dans ces plans machiavéliques, ses amis qui eux n’avaient pas besoin de déménager cette année.

Ne jamais dire à un Québécois qu’il est Canadien et inversement !

Sur 365 jours que contient une année, pourquoi avoir choisi pour instaurer cette loi de fin de bail le jour de fête nationale canadienne? Tiens ! Serait-ce un vieux  pied de nez des Québécois aux Canadiens ? Il y a une explication certaine mais entretenons le mystère…

Je m’amuse souvent à dire sans aucun préjugé qu’un Québécois, c’est un peu un Belge dans un corps d’américain. L’hypothèse se confirmerait-elle ? Car de vous à moi, en Europe, seuls Wallons et Flamands du royaume de Belgique s’oseraient à une telle démonstration d’amour vache. Comme le disent très bien mes amis de Wallonie : « Quand on rit, on rit. Mais quand on crache en l’air et qu’on dit qu’il pleut, c’est pas drôle ! » (1) Je dis ça, je dis rien !

Ne jamais demander à un Québécois pourquoi il déménage le jour de la fête du Canada ?

A Montréal, il est bientôt 17 h, sous une chaleur caniculaire, certains ont déjà terminé alors que d’autres ne font que commencer. Peu importe, les premières bières sortent des glacières, les livreurs de pizza tentent de se frayer un chemin et entre une descente de canapé et une montée de machine à laver, on admet que cette histoire de fin de baux le même jour, c’est un peu ridicule, surtout le jour de la fête nationale du Canada. Mais en même temps comme on dit ici « ça a toujours été même, et ostie qu’ça serait plate de déménager tout seul !» (2) 

Le western ne meurt pas

C’était donc en ce début de mois que j’ai investi ma nouvelle colocation. Et c’est vrai qu’à vivre, cet élan collectif montréalais pour emménager, j’ai trouvé que cette première journée du mois de juillet se donnait l’air d’être le bon jour pour tout proprement recommencer. J’avais trouvé en 4 jours un toit à me mettre sur la tête et en toute impartialité, le 1er juillet 2014, je venais de déménager comme les Québécois, et comme les Canadiens, je m’en allais assister sur le fleuve Saint-Laurent aux feux d’artifice donnés en l’honneur de la fête nationale canadienne.

Satisfaite j’étais d’avoir tenté de ne froisser ni l’un ni l’autre, mais le contentement fut de courte durée. A peine j’avais franchi la porte de mon nouvel appartement, que la dernière création murale fraîchement achevée de l’artiste montréalais Kevin Ledo, me fusilla d’un regard franc et frondeur. Crisse c’est bien maudit ! Il ne manquait plus que lui ! Un Amérindien !

Dans ma tête, l’harmonica d’une mauvaise version du western spaghetti de Sergio Leone, « Il était une fois dans l’Ouest » s’est mis à jouer. Jamais deux sans trois aussi dans ces histoires-là … Mais au fait, le 1er juillet, l’Amérindien  festoie-t-il ou (re)déménage-t-il ?

Graff de Kevin Levo - Quartier St Laurent - Montréal.
Graff de Kevin Levo – Quartier St-Laurent – Montréal. ©A.G

(1) Comprenez ce que vous comprendrez de cette expression belge.

(2) « C’est tellement ennuyeux de déménager tout seul! »

 

 


Partir et arriver

Qu’est-ce qui pousse à partir ? Partir à des milliers de kilomètres ou partir juste à côté, c’est toujours partir et arriver! Partir une semaine, un an, plusieurs années, ou toute sa vie, c’est toujours partir et arriver ! Partir par choix, par conviction, par nécessité ou par devoir, c’est toujours partir et arriver !  Partir pour vivre juste ailleurs ou partir pour vivre mieux ailleurs, c’est toujours partir et arriver !

Mon dernier départ ne date que de trois semaines. J’ai quitté mes quatre années de vie berlinoise, je suis, plus exactement, partie d’Allemagne pour arriver au Canada.(Pour celles et ceux qui auraient manqué un épisode, le rattrapage est encore faisable: Le Caribou danse-t-il? et Goodbye Berlin )

Cartier
Jacques Cartier par Théophile Hamel, 1844, d’après un portrait aujourd’hui disparu produit en 1839 par François Riss (1804-1886).
— On ignore cependant son vrai visage

Je me demande souvent ce qui a foncièrement et personnellement motivé les grands explorateurs des siècles passés à partir ? C’est vrai, nous connaissons leurs conquêtes, mais rarement les raisons profondes qui les ont poussés à aller vers les terres du Nouveau Monde.

Prenons l’explorateur Jacques Cartier, avait-il pour seule motivation faire siens  de nouveaux territoires, s’octroyer les richesses et découvrir un passage  qui permit au royaume de France de joindre les Indes par le nord-ouest? Ou peut-être avait-il simplement reçu comme moi un visa de travail d’1 an à destination d’un territoire nouveau, qu’il appela Canada?

Je ne suis pas ce qu’on appelle une exploratrice, du moins comme on l’entend, je le suis à ma manière, et en y réfléchissant bien, je ne me suis jamais vraiment attardée sur le pourquoi je pars. Je me dis juste que dans mes partances relativement régulières s’y trouvent sans doute là, le besoin de dégourdir mes habitudes, d’aiguiser ma curiosité, de compenser un manquement par un éternel recommencement ou tout simplement de fuir.  Loin de moi ici l’envie de m’élancer vers de la psychologie de bas étages ;  laissons les explications et les analyses à ceux qui en ont besoin, pour le moment j’essaye de raconter !

Je suis arrivée à Montréal le 11 juin dernier. Atterrissage réussi ! Donner petit papier à la douane, recevoir gros tampon au service de l’immigration, récupérer le peu de ce qui m’appartient sur un tapis roulant et enfin mettre le nez dehors. Alors que ma valise s’est offerte toute entière aux averses tonitruantes, et que mes pieds ont goûté, avec franchise et bonne humeur, aux flaques d’eau des trottoirs montréalais, mon front crispé, quant à lui, s’est vite détendu sous le déboulement continu de mes premières gouttes de pluie québécoises.

Un chauffeur de bus m’a dit « Bienvenue ! », j’ai entendu « Déluge !  »

©A.G

Qu’on se le dise quiconque part et arrive dans un quelque part méconnu, les jambes bouffies par les heures de vol et le décalage horaire sur les paupières, puise là où il le peut encore, ses dernières forces pour arriver dignement. Ce jour-là, à Montréal, c’est de façon rythmique et mécanique, que mes yeux n’ont eu de cesse de lire et relire sur les plaques numérologiques des voitures,  la devise québécoise : « Québec je me souviens. » J’ignorais encore l’origine et la signification de cette phrase, je n’avais encore rien à me souvenir dans ce pays, mais cela m’importait peu; tant que ce petit bout de phrase donnait à mes pieds, la dose de force et de calme nécessaire pour continuer d’avancer l’un devant l’autre. Ô que je les ai aimés ces mots, dès la première seconde où je les ai lus.

Arrive comme tu peux mais arrive! n’aurait jamais dit un grand sage.

1ère  étape : Une fois le pied posé sur le tarmac d’un nouveau pays, d’un nouvel aéroport, d’une nouvelle ville, évacuer de sa mémoire la dernière phrase prononcée par mon père sur le chemin de l’aéroport :

_ « T’as pas changé d’avis, tu veux toujours partir ? »

Ô maudits soient ces mots! Moi au fond de la voiture, lui, le regard dans le rétroviseur intérieur :

_ « Bah oui ! Evidemment, je pars ! »

Pourtant, il aurait fallu de peu pour un chambardement, un détour sur l’autoroute…:

« Mais pourquoi je m’impose ça ! Merde ! Je vais lui dire de faire demi-tour. Il n’est que 7 heures du matin, je vais tranquillement retourner au fond de mon lit, redonner de la légèreté à mon estomac,  rendre leur liberté à mes 23 kilos de vêtements compactés dans ma valise et refaire tout comme hier, avant-hier, avant avant-hier…je vais retourner à Berlin, je vais refaire ma Französin, manger des saucisses au curry, relouer mon appartement, retrouver mon ancien boulot… ce sont mes amis qui vont être contents. Ah ! Et puis je vais reparler allemand… Wunderbar! Alles ist in Ordnung! ja jajajaaja!  Allez! J’y vais, je lui dis ! Rentrons ! Fais demi-tour papa! Le Canada attendra ! »

« C’est une fois en route que tout se simplifie ! » avait déclaré l’écrivain, voyageur et explorateur Sylvain Tesson quelques jours avant son immersion de six mois en Sibérie, au bord de lac Baïkal. C’est étrange comme certaines phrases lues ou entendues vous reviennent à temps!  MAGIQUE !

2e étape : Organiser avec force son corps afin que valises, sacs à dos et passeport restent tous solidaires. TOUS ENSEMBLE !

3e  étape : Chercher dans l’inconnu d’une ville, l’appartement que l’amie d’une amie d’un ami vous a potentiellement et gratuitement laissé pour quelques jours, et espérer que tout cela n’est pas une promesse courtoise et non tenue. LES AMIS DE MES AMIS SONT-ILS MES AMIS ?

4e étape : Se réciter par cœur, le monologue cinématographie d’un film culte de ma génération: « Quand on arrive dans une ville, on voit des rues en perspective. Des suites de bâtiments vides de sens. Tout est inconnu, vierge. Voilà, plus tard on aura marché dans ces rues, on aura été au bout des perspectives, on aura connu ces bâtiments, on aura vécu des histoires avec des gens. Quand on aura vécu dans cette ville, cette rue on l’aura prise dix, vingt, mille fois. Au bout d’un temps cela vous appartient parce qu’on y a vécu […] » Rue Saint-Catherine, Métro Berri, Avenue Mont Royal, direction le Vieux-Port, Le Plateau, La Maine, le centre Bell, Quartier Latin, la Place des Arts, Montréal- Est, Montréal-Ouest… [Extrait du film de Cédric Klapisch : L’auberge espagnole] OLÉ !

« Le vrai voyageur n’a pas de plan établi et n’a pas l’intention d’arriver. »

Peut-être que pour les sages Chinois comme  Lao Tse dont provient cette citation, une telle vision du voyageur est facilement applicable. Pour moi qui ne suis ni chinoise ni sage, c’est un autre voyageur qui me plaît plus, celui du journaliste et humoriste Alphonse Allais qui écrivait : « Les voyages forment la jeunesse, mais ils déforment les chapeaux.» C’est une autre histoire et d’autres péripéties. Je vous raconterai…

 

 


Le caribou danse-t-il ?

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© Dessin Inuit Tapiriit Kanatami (ITK)

Le soir du samedi 10 mai 2014, l’air faussement morose, que j’affiche, et moi-même, nous nous donnions guère grande allure,  avachis-là, exceptionnellement, sur le canapé de la maison familiale, entre un coussin et un petit reste de chocolat de Pâques.

Je pris donc un chocolat. C’est le visage ombragé par les UV de la télé et les cuisses endolories par l’ordinateur, que soudain, mon cœur se mit à battre de l’émotion et à me picoter du chagrin.

Si on me demandait la nature de cet émoi, je répondrais : c’est la Nostalgie. Mon émotivité prenait sa source, depuis une semaine, dans une contradiction sensible des plus personnelles, d’un côté LA JOIE  de suivre au travers le web 2.0,  la 3ème  formation de Mondoblog- Atelier des Médias RFI qui se déroulait du 02 au 12 mai,  en terre ivoirienne, et de l’autre côté, LE REGRET de ne pas en être cette année.  Mais comme me dit mon père : « On n’a que ce qu’on mérite. »

Un œil sur le PC et l’autre vers la télé, j’ai repris un deuxième chocolat. Aaaah ma Mondofamille ! En vous voyant de loin, en vous lisant là-bas, ce samedi-là,  je connaissais déjà ce que vous étiez en train de vivre, une  rencontre Mondobloguesque qui injecte dans les veines une perfusion d’élan et de fougue. UN INOUBLIABLE.

Que vous dire de plus Mondoblogueurs saison 3?  Certainement que je devine déjà qu’il vous faudra quelques semaines pour revenir en entier dans vos pays respectifs, puisque contrairement à vos corps, vos pensées auront encore souvent tendance à flâner du côté d’Abidjan. Rien d’anormal ni d’insupportable, au contraire, c’est là ce qu’on appelle aussi à Mondoblog, le second effet kiss cool. Nombreuses sont encore les fois où je pars récupérer mon esprit dans mes souvenirs dakarois…Inoubliable disais-je !

Sur ces belles paroles, je pris un troisième  chocolat. De la main à la bouche, il n’y a pas grand-chose, mais il y a bien assez pour un geste désordonné. C’est en cherchant mon chocolat, tombé dans les plis du canapé, que mon samedi soir prit une autre courbure. À défaut de n’avoir jamais retrouvé le délice praliné tombé entre la table basse et le canapé, je mis la main sur la télécommande. D’une retrouvaille mondiale de blogueurs francophones, je zappais pour une toute autre rencontre, européenne cette fois-ci.

Du Mondo à l’Euro. Télévision. France 3. 21h47. Les dents noires de praline, je n’ai eu de cesse à me pester dessus. Pourquoi donc n’arrive-je jamais à la hauteur de ma promesse, soit, ne pas encore finir hébétée devant le concours annuel de l’Eurovision ! Chaque année, j’ai beau savoir que ce show chantant donnera à ma soirée le temps de l’interminable, mais c’est plus fort que moi. Que voulez-vous! Certains ont l’élection de Miss France, moi j’ai le folklore chansons et paillettes de l’Eurogroupe.

Comme en œnologie, à l’Eurovision,  il y a des années de grand cru et d’autres de piquette, et puis il y a les autres années, celles du présent qui vous renvoient  à celles du passé.

C’est donc par un soir d’Eurovision 2014, que j’ai décidé de rebrousser chemin. Le souvenir est lisse et clair, c’était un vendredi, un soir d’Eurovision en 1988.  J’avais 6 ans, et au drame de mes frères, et de mes parents, devant la télévision je dansais grec, polonais, moldave, portugais… j’offrais à ma famille du sirtaki, du fado, de la tarentelle, du casatchok …    Mes mouvements européens en ont  brisé des verres et des vases, à l’époque déjà, l’eurosceptique je le balayais d’un coup d’arabesque et d’entrechat. Danseuse étoile je voulais être, danseuse de l’Eurovision je fus !

Jusqu’au jour où… (Je reprends un chocolat, le moment est grave !) … je me trouvais fort dépourvue du moindre mouvement dansant, quand la Suisse expulsa sur scène une chanteuse venue du froid, venue du Canada, une chanteuse québécoise.  Je n’avais pas encore 7 ans , et devant le poste de télévision, les deux jambes clouées sur le tapis,  je cessais alors de danser pour  me questionner:

_ C’est quoi la danse de la Suisse? demandais-je à ma mère.

_ Et celle du Québec ? insistais-je auprès de mon père.

Les réponses n’étant jamais venues, je m’attardais alors sur cette drôle de jeune fille. Elle avait 19 ans et elle s’appelait Céline Dion.

Je me tracassais.  Quel pays se dissimulait derrière tant de frou-frou dans l’allure ? Quelle contrée pouvait bien se cacher derrière tant d’incompréhension dans l’accent ? De l’épaulette de sa veste à sa dentition chancelante, en passant par la dentelle de sa jupe, j’ai comme qui dirait pressenti que le pays de cette Céline-là, pays aux habitants cousins des miens, aura un jour où l’autre de l’écho dans ma vie. Elle m’avait fait un tel effet ! Et il en fallait à l’époque pour m’empêcher de danser, la maudite !

Sa chanson disait « […] Ne partez pas sans moi laissez-moi vous suivre […] »

Partir! Oui ! Mais où Céline ? Au Canada ? Chez toi ?

Je ne suis jamais devenue fan de Céline, disons que je la supporte quand je l’ignore. Cependant de sa première prestation en 1988, j’entends aujourd’hui, sa réverbération du fond de mon canapé. L’écho a sonné!  Vingt-cinq  années ont passé depuis ce soir d’Eurovision-là et Céline Dion ou pas,  je pars, cette année2014, mon visa de travail d’1 an,  vivre à Montréal,  découvrir le Québec et voyager au Canada.

_  Ne partez pas sans moi !  chantait Céline

_ Désolé je pars quand même et sans toi ! répliquais-je

Tous les chemins ne mènent pas à Rome. Partir n’est pas nouveau pour moi, c’est même mieux, c’est devenu mon leitmotiv. Comme un cycle que je m’applique à exécuter tous les 3-4 ans en moyenne. Qui m’aime me suive puisqu’une fuite pour ailleurs n’est pas nuisible quand on l’a choisie.  Cette année, je devais partir pour la Pologne, quand sans m’y attendre, j’ai décroché un autre gros lot, le Canada.

J’ai croqué dans un dernier chocolat. Ce samedi 10 mai 2014, en direct de la maison de campagne familiale, je pensais…

Je pensais à Dakar puisqu’il y avait Abidjan

Je pensais à Mondoblog puisque il y avait la famille

Je pensais à mes années australiennes, bruxelloises, berlinoises puisque se présageaient celles qui seront québécoises

Je pensais à mon blog qui comme moi allait quitter l’Allemagne pour le Canada

Je pensais à cette chanteuse autrichienne à barbe, Conchita Wurst, gagnante de l’Eurovision 2014  puisqu’il y avait eu, un soir une Céline québécoise

Je pensais au film Forrest Gump puisqu’il y avait devant moi une boite de chocolats

C’est bien cela. Samedi-soir dernier, assise sur mon canapé, du chocolat sur le bout des doigts,  je réalisais enfin qu’il avait  raison le personnage de Forrest: la vie c’est bel et bien comme une boite de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber.                      

Quant à la question que pose mon titre, qui sait, la réponse se trouvera peut-être prochainement sur ce blog, que j’embarque dans mes valises entre mes pulls en laine et mes chaussettes, destination le Canada.

 


Théâtre : monter sur selle

Tout journaliste ou blogueur, ayant posé un pas dans le monde prolifique des arts scéniques, sait ô combien, il ne se passera plus un jour sur cette terre sans que sa boîte mails ne se bedonne de dossiers de presse en tout genre. 

"Manèges" mise en scène: Carole Massana Photo: Au fil des nuages
Mise en scène:Carole Massana
© Théâtre Au fil des nuages

Parmi ces dossiers  reçus, certes s’y trouvent des créations scéniques multiples: de l’incomplet,  de l’abouti, du confirmé, du célèbre, et puis il y a les dossiers de presse plus personnels, ceux des compagnies qu’on a croisées un soir, par hasard, et qu’on a revues par la suite, ces compagnies dont les rencontres passées vous renvoient à un moment de votre vie personnelle, bref des compagnies dont il est souvent plaisant d’avoir des nouvelles,  mais aussi et surtout d’en donner.

Je vis cette histoire-là depuis 2010 avec une jeune compagnie de théâtre franco-allemande basée à Berlin, son nom  Théâtre Au fil des nuages, ses  deux fondateurs et membres: Christina Gumz et Clément Labail. La demoiselle est allemande et le monsieur est français; comédiens diplômés, ils se rencontrent en 2001 sur les planches du célèbre théâtre parisien Le Lucernaire.

De Paris à Berlin, il n’y a qu’un pas et qu’un projet. En 2007, ils montent leur propre compagnie de théâtre franco-allemande. Leur projet, interpréter dans leurs deux langues, le français et l’allemand, des pièces contemporaines dont ils sont en partie les auteurs.

La langue parlons-en !

J’ai rencontré en 2010 cette petite troupe, haut perchée sur la scène du théâtre Kulturfabrik du quartier Moabit à Berlin, au programme:  une courte pièce de Jean-Claude Grumberg « Les Rouquins » et de Thomas Bernhard « Le Mois de Marie ».

© Théâtre Au fil des nuages
© Théâtre Au fil des nuages

Une étonnante soirée où la personne qui m’accompagnait, professeur de littérature française à Paris et grande férue de théâtre, trouva l’expression juste pour décrire le jeu, le ton et la présence de ces deux comédiens : « Ils sont revigorants! ».

À l’époque, chacune de leurs montées sur scène se poursuivait amicalement autour d’un verre où le public francophone et germanophone, amateurs  ou confirmés pouvaient, en compagnie des deux comédiens, débattre sans retenue,des thèmes traités au cours de la représentation.

Une cohérence théâtrale.

Au-delà de leur prise de position pour jouer dans deux langues, ce qui détonne particulièrement dans la pratique du spectaculaire de cette compagnie est  la résonance qu’ils donnent à une pensée socio-théâtrale chère au sociologue Erving Goffman : « Tout terrain est un terrain spectaculaire auquel on peut participer » autrement dit qu’une pratique du spectaculaire reflète un certain nombre d’investissements et de thématiques sociales possibles. « Pour moi,  explique Christina,  le théâtre est un lieu d’échange, de paroles et d’écoute partagés. Un lieu de rencontres.» Il apparaît donc naturellement et poétiquement clair pour la comédienne que « faire du théâtre aujourd’hui c’est « aller vers », c’est un espace de liberté, de questionnements, d’émotions. Faire du théâtre, ça pourrait être préparer un plat, un grand plat… »

Ce n’est pas nouveau, mais c’est aussi ça faire du théâtre!

Bousculer les codes et les rituels théâtraux tant du côté spectateurs que du côté des faiseurs de spectacles. Mais il y a ceux qui le disent et ceux qui le font !  Le nouveau grand projet de Christina et de Clément  est de ce cru-là. En 2015 la compagnie quittera Berlin, direction Paris, en passant par la Belgique, pour une tournée théâtrale à vélo.

Quand on partait sur les chemins…

Dès l’année prochaine, les deux comédiens ont donc décidé, d’un commun accord, de mettre pour quelques mois, entre parenthèses, leurs activités berlinoises pour porter sur les routes allemandes belges et françaises, une de leurs créations scéniques Manèges- Kreise,  pièce qui paraîtra prochainement  aux éditions A Verse.

Un road movie théâtral

Plantons le décor ! En cette année de commémoration des 100 ans de la guerre de 14-18, un tel projet donnera de la voix et n’aura pas fini de faire écho. Pendant deux mois et demi, les deux comédiens enfourcheront leur fidèle destrier à deux roues, et c’est en revêtant les oripeaux de Maria et Pierre, les deux personnages burlesques de leur pièce, que Christina et Clément se feront les témoins, les observateurs et les démonstrateurs de diverses problématiques sociales et personnelles. Une tournée à vélo de 1300 kilomètres, où il sera question  de crapahuter et de dévaler les routes de trois pays voisins et européens (Allemagne, Belgique, France), n’est pas anodine, l’acte physique, les rencontres et le cheminement qui y seront exercés,  au jour le jour, coup de pédale après coup de pédale, offriront leurs lots d’imprévus, de lyrisme et d’improvisation à chaque représentation jouée.

Les chiens aboient, les vélos passent

Ce projet a de l’intelligence dans le guidon et de la cohérence dans les pédales. Cette tournée théâtrale à vélo, fait sens autant humainement qu’artistiquement, comme nous l’explique Clément : « […] A vélo, c’est une aventure, un vrai voyage, on a le temps de voir… Désir de voyager, d’aventure, deux choses aussi omniprésentes dans la pièce. […] Le vélo correspond aux personnages, de notre pièce (Maria et Pierre) qui ont besoin de se bouger pour sortir de leur train-train, de leurs habitudes, de leurs peurs. La lenteur est aussi un thème abordé par Pierre, bien que souvent tournée en ridicule par Maria. Mon personnage se repose en effet trop sur ce qu’il a, il tourne en rond, il a tendance à broyer du noir. Les roues du vélo, à vide, tournent en rond – en prise avec une route, un chemin, et sous la seule impulsion de nos muscles, ça avance. »

https://dai.ly/x1sa2i8

La théâtralité est dans la vie quotidienne. 

La Compagnie garde son cap! Cette pièce ouverte à tous sera jouée intégralement en allemand en Allemagne, et intégralement en français en Belgique et en France. En plus des représentations qui se dérouleront le soir dans chaque ville-étape, des ateliers de théâtre et de peinture seront organisés dans la journée par les deux comédiens: « Nous avons défini un premier parcours à l’avance, avec les contraintes qu’implique une trajectoire à vélo, c’est-à-dire une ligne assez continue, sans pouvoir faire trop de bons à droite et à gauche pour ne pas mettre un an. En fonction du répondant des premières villes choisies, nous allons adapter au fur et à mesure, et ensuite via les mairies, nous informerons les associations, les médiathèques, les écoles et les centres de jeunes, en coopération. »

Voyage, travail, argent, amour, liberté, désir, paix, scène de ménage… les plus jeunes spectateurs auront donc la possibilité de participer à la pièce en préparant un tableau sur les thèmes du spectacle. Le tableau réalisé sera intégré au décor le soir de la représentation correspondante.Tous les tableaux créés au cours de la tournée seront exposés à l’arrivée à Paris.

Il est encore possible d’apporter son aide financière ou de sponsoriser le projet. Afin d’annoncer la grande tournée de la pièce au public berlinois, ainsi qu’aux journalistes, aux partenaires et aux futurs sponsors, la Compagnie Au fil des nuages présentera en avant-première sa nouvelle création Manèges-Kreise: en français le mercredi 7 mai 2014 à 20 h et en allemand le samedi 14 juin 2014 à 20 h, au théâtre Ackerstadtpalast à Berlin.

Et pour celles et ceux qui, en Allemagne en Belgique et en France, désirent apporter leur aide et leur soutien sur place, aux villes-étapes, un carnet de route sous forme de blog sera tenu étape par étape par Christina et Clément.

En savoir plus :

https://au-fil-des-nuages.net/

Compagnie de Théâtre Au fil des nuages
Téléphone : + 49 (0) 30 34 08 40 05
Mobil: + 49 (0) 176 / 80 09 39 86

 

 

 

 

 


Bons baisers d’Ukraine

Le 23 février dernier, l’un de « mes collègues » Mondoblogueurs – dont les merveilleux billets, trop peu connus à mon goût – publiait un honorable article sur son voyage mi- initiatique mi- amoureux en terre ukrainienne en 2012. (Je m’ose au léchage de bottes même s’il est question ici ni d’oser, ni de lécher, mais de rendre à César ce qui appartient à César.)   

Mardi 25 février 2014, ma radio, mon téléviseur mes journaux et mon ordinateur m’annonçaient en boucle et en looping la fuite du président ukrainien Ianouchkovtich et la libération de l’opposante Ioulia Timochenko ; au même moment sur le site de Médiapart, je lisais : « C’est une victoire des masses, comme les fuites de Ben Ali, de Moubarak et de Morsi. Dire cela n’implique aucun optimisme béat, mais constitue le b.a.-ba de tout réalisme révolutionnaire. »

Je me ferais ici poule mouillée en  m’abstenant de donner mon point de vue sur la CHOSE et  ne m’embarquerais pas à revenir sur le pourquoi du comment du désastre qui fit pleurer, entre autres, les sportifs de la congrégation ukrainienne aux JO de Sotchi.  Que dire ou ne pas dire alors ? Retourner le schmilblick dans l’autre sens, pourquoi pas ? S’accorder au milieu du désastre une pause souvenir. Éteindre radio, télévision et ordinateur, refermer les journaux, faire comme si de rien n’était et se remémorer : que me reste-t-il de mes deux semaines en terre ukrainienne ?

Ma guide et moi. Kiev 1998
Ma guide et moi. Kiev 1998 ©L.Guérin

Je suis allée en Ukraine, il y a 16 ans, en 1998,  sans connaissance aucune, moi aussi, du russe ou de l’ukrainien, juste une visite fraternelle à l’un de mes frères qui y exerçait son devoir civique qu’était le service militaire obligatoire en coopération de l’époque […] J’avais 15 ans, j’avais l’adolescence et je n’avais pas de quoi (je croyais) crâner auprès de mes amis de l’époque, eux, qui passaient leurs vacances à la Martinique, en Provence, en Italie…  A cet âge niais, il n’y avait rien à rajouter devant les gueules moqueuses d’incompréhension de mes camarades de classe : « Qu’est-ce que tu vas foutre en Ukraine ??? »

Hier soir, j’ai regroupé tous mes neurones possibles, inimaginables et viables! L’attroupement nerveux terminé, je me suis mise en marche, direction mes jeunes souvenirs d’Ukraine. Se souvenir d’il y a 16 ans, aujourd’hui du haut de mes 31 ans, me paraît si loin, pourtant la réminiscence garde de sa magie l’ivresse qu’elle apporte. Magique ! J’ai ouvert la boîte aux outils, soit mon cortex avec son lobe pariétal, temporal et occipital, du cerveau au clavier, l’adolescente en vacances en Ukraine que je fus, n’était plus très loin et j’ai écrit, ceci :

Je me souviens de mon arrivée avec ma mère à l’aéroport international de Kiev, le rustre sur les visages des agents de sécurité et des soldats soviétiques armés jusqu’aux dents. Je me souviens avoir joué au jeu de l’intimidation douanière et de m’en être plutôt rapidement bien sortie.

Je me souviens de Kiev et de son doux gris,  du vert de l’église Sofia, du bleu pastel du Palais Marie,  et du jaune de la cathédrale Saint-Vladimir. Je me souviens du ralenti qui semblait ponctuer les recoins de cette ville, une légère brume d’où pétaradaient les pots d’échappement de vieilles carlingues comme on n’en voyait plus nulle part. La pie est attirée par tout ce qui brille, à Kiev mon regard n’eut de cesse de s’agripper aux dorés des innombrables clochers, tourelles, dômes dont la brillance piquait le ciel de jour comme de nuit.

Je me souviens des foules d’une fin de match du Dynamo de Kiev, je revois le nom du tsar footballistique de l’époque, le joueur ukrainien dont le nom se plaquait sur tous les maillots, sur toutes les lèvres et dans tous les cris : le bel Andrey Schevchenko.

Andrey Schevchenko : Dynamo Kiev 98 Photo: https://www.sofoot.com/
Andrey Schevchenko : Dynamo Kiev 98 Photo: https://www.sofoot.com/

Place de la Révolution, au loin, en point de fuite, je me souviens de l’arche de la réunification russo-ukrainienne. Suivant au pas ma guide ukrainienne, étudiante universitaire en langue française, dont le prénom n’habite plus malheureusement aujourd’hui mon cortex, je me souviens de ses histoires, ses explications, sa petite voix, et le roulement de son accent. Je me souviens m’asseoir sur l’un des murets du parc Tarass Chevtchenko, pointer la tête vers le haut, pour apercevoir la fin d’une partie de jeux d’échecs, exécutée avec minutie par des mains d’hommes recroquevillées dans leurs mitaines; le bout des doigts rougis et le sacrifice de la Reine, je m’en souviens.

Je priais peu, mais avais tant à observer. Les églises orthodoxes de Kiev, je me souviens les avoir toutes visitées, de l’une je rebondissais vers une autre encore et encore. Nouer un foulard sur ma tête et assister tous les jours à une messe orthodoxe allaient bien au-delà du rituel ; la beauté architecturale slave ponctuée par les prières chuchotées des croyants,  je m’en souviens.

Je me souviens aussi de certains noms sans images associées : le marché des Grands-mères ou encore le Crechtchatik dont l’orthographe m’échappe aujourd’hui,  les Champs-Elysées de Kiev, comme disaient les guides touristiques de ma mère. Je me souviens du goût du traditionnel Bortsch et de cette vodka aromatisée au miel et au piment. Je me souviens aussi de la lenteur du service dans les commerces, je me souviens des cours des immeubles, où se faufilaient courbées des grands-mères ramassant quotidiennement des bouteilles de verre et de plastique consignées. Je me souviens de la présence visible de certains réseaux mafieux. Le Baryton, le Ténor et l’Alto de l’Opéra national de Kiev, je m’en souviens.

Je me souviens aussi de l’odeur poussiéreuse de l’ex-Union des Républiques socialistes soviétiques. Je me souviens en catimini avoir acheté, dans les allées du métro des copies CD de Charles Aznavour, Edith Piaf et des incontournables groupes ukrainiens et russes de l’époque, je me souviens avoir tant dansé sur ce hit ukrainien.

 

Je me souviens du train de nuit reliant Kiev à la petite perle de la mer Noire : Odessa.  Comment oublier le charme et le juste nécessaire de ces trains aux allures soviétiques dont l’incommensurable lenteur du déplacement donnait le temps au temps. Je me souviens des vendeurs de poissons séchés, des clapotis dans les verres de vodka, de l’allure grave des contrôleurs ferroviaires calmant l’humeur trop joyeuse de certains passagers. Je me souviens de la mer Noire, du port et du paysage actif que renvoyait l’activité des industries.

Je me souviens avoir foulé les marches de l’escalier le plus connu du cinéma soviétique muet : le mythique escalier Potemkine, qui doit sa renommée au  film de Sergueï Eisenstein, Le Cuirassé  Potemkine sorti en 1925.

Le vécu in vitro.

Il est étrange de raconter l’Ukraine de 1998, la seule que j’ai connue ;  la richesse de ces deux semaines de mon adolescence dans ce pays, avec ma mère et mon frère, se trouve moins dans le visible, mais plutôt dans le ressenti, les rencontres, les récits écoutés et dans les imprévus permanents et surprenants.

Rectification sur ce qui a été précédemment dit : je vais tout de même évoquer un bref avis. Chacun en fera ce qu’il en veut ! Au moment de la rédaction de ce billet, comme tout le monde, j’ignore ce qu’il va advenir de l’Ukraine. Le président ukrainien Viktor Ianoukovitch destitué de ses fonctions présidentielles fait désormais l’objet d’un mandat d’arrêt pour « meurtres de masse » de civils ; aux dernières nouvelles le bonhomme court toujours. Certains envisagent déjà la probabilité d’une Ukraine coupée en deux, d’un côté les pro-européens, de l’autre, les pro-russes. Non loin de là, suite à de violentes critiques, le Kremlin accuse à la fois l’attitude des nouvelles autorités à Kiev et l’attitude des pays occidentaux. Ne jamais oublier que la Russie n’est pas Poutine et que Poutine n’est pas la Russie, le premier intéressé ne l’a malheureusement jamais compris.

De mon côté de l’Europe, l’adolescente de l’époque se souvient de l’Ukraine et l’adulte d’aujourd’hui y réfléchit. De mes origines polonaises par ma grand-mère maternelle,  je sais ô combien l’indépendance de la Pologne entre 1989 et 1995 fut compliquée et elle aussi mouvementée, je sais ô combien son entrée en 2004 dans l’Union européenne lui donna ce second souffle qui revigore. Rien n’est jamais parfait partout et ailleurs, souhaitons juste que l’Ukraine puisse, elle aussi, rapidement reprendre un peu d’air et respirer à son rythme.


Attention! Livre nerveux !

Chers critiques littéraires, 

(Chers critiques littéraire, N’ayant jamais parvenu à faire comme vous, j’ai donc pris l’initiative de faire autrement.)

Renégat : Personne qui a abandonné, trahi ses opinions, sa religion, son parti.

ACHTUNG ! ACHTUNG ! La littérature allemande a en son sein un écrivain dont je découvre trop tardivement le talent (HONTE A MOI !). Un écrivain dont nombreuses maisons d’éditions allemandes avoueraient dès 1990, s’être discrètement, piquées de la fourchette, entre deux coins de table pour avoir le plaisir d’éditer ses premiers romans. Un écrivain dont j’ai souvent entendu dire qu’il fallait de la hargne et un goût combatif pour rentrer et rester dans cette nouvelle littérature stylistique qu’il propose. Un écrivain qui s’adonne à un genre peu commun en littérature germanique, « le roman sur la ville ». Un écrivain aussi, dont je me suis résignée à prononcer correctement prénom et nom : Reinhard JIRGL, l’écrivain c’est lui.

Le jour où j’ai occasionnellement troqué la madeleine proustienne pour la saucisse jirlienne. 

Ce roman : Renégat, roman du temps nerveux est une sorte de Berlin Alexanderplatz d’Alfred Döblin à la sauce post-moderne. Le souvenir et la représentation de la ville de Berlin sont au cœur de ce roman allemand avec en filigrane la matrice d’une interrogation toujours en exercice au pays teuton : Comment  après la chute de son mur, un pays comme  l’Allemagne et une ville comme Berlin se reconstruisent une nouvelle façon d’être et d’apparaître? (Tatinnnnn! Problématique je te tiens !… Méfiez-vous lecteurs, il se cache dans ce livre, bien plus encore que cette niaiseuse question à l’effet ramolli, c’est tout le contraire.)

Des réticentes?  « Allemagne », « mur » et « reconstruire », ne me bougonnez pas un ronchon : « Encore ! Un livre sur l’après chute du mur de Berlin,  sur l’Est-Ouest, sur la faucille et le coca … ! » Que nenni, car ce n’est ni « pas » ni « du tout », ni « pas du tout » cela !   C’est plus que ça ! Ce roman, c’est de l’exotisme magnétique allemand qui s’ignore !

Dans le fond, deux trames élémentaires se superposent :

D’un côté, l’histoire d’un journaliste dépressif  et alcoolique (rien de très original pour le moment !) qui tente de se soigner auprès d’une thérapeute, dont il va s’amouracher, au point de quitter Hambourg pour la rejoindre à Berlin.

De l’autre côté un féru de philosophie, ancien garde-frontière d’une Allemagne divisée jusqu’en 1989 qui, une fois la réunification en marche,  empoigne le volant et devient un chauffeur de taxi berlinois. Coup d’œil rapide dans le rétroviseur intérieur sur une jeune ukrainienne rencontrée sur la route  et roule ma poule.. (Bref, une histoire à la  You talking to me quoi !)

Entre ces deux histoires emmêlées se dresse un  portrait contemporain de Berlin, une ville qui s’incarne ici telle une plaie qui n’aurait de cesse de s’entêter à rester ouverte… …. AUTO-CONGRATULATION! (Par cette mi-métaphore, mi- comparaison godiches, mettrais-je fin ici à ma quête du Graal faussement stylistique, en égalant le maître, Eric Emmanuel Schmitt ?)  MAZETTE ! 

Dans la forme : une écriture et une prose moléculaire où se succèdent avec art, l’étonnement et l’inattendu que produit au corps et à l’esprit la sensation du trébuchement.  (Oui, vous pouvez relire, mais j’ai bien écrit « Prose moléculaire » ça doit se dire et pour ceux qui l’auront compris, ça veut dire beaucoup!)

Alors que de son côté, Reinhard JIRGL n’a de cesse de trébucher sur le totalitarisme,  la fracture des générations, la détérioration des familles,  la désintégration de la mère patrie…

Du côté lecteurs, nous avons, nous aussi, de cesse de trébucher sans relâche, les yeux cabossés par des  mots, des phrases, et des pages qui déconstruisent en rafale, la norme littéraire, et ce, pour  se remodeler  sans limite formelle.

L’auteur, le traducteur et le lecteur chutent en chœur, à l’unisson, la tête la première dans une œuvre littéraire stylistiquement sans fin. 

Avec ce roman de 520 pages, Reinhard JIRGL construit un livre qui trouve une valeur d’objet désarticulé, détourné et décomposé. L’auteur égraine de-ci de-là des pages qui se substitueraient presque au modèle de l’Internet avec des liens, des rappels à suivre sur d’autres pages, des encadrés renvoyant à des explications philosophiques, des citations, ou des définitions brutales par leurs formes, des jeux typographiques…

JOIE ! Par le biais d’une ponctuation et d’un graphisme codé – que vous lecteurs, vous décoderez très vite rassurez-vous –  Reinhard JIRGL donne à voir et à entendre une réinterprétation nouvelle de l’écrit et du langage.  J’oserai dire que l’auteur entend écrire ici une langue étrangère à sa propre langue, COUACS! 

Qu’il est bon, courtois et entraînant de laisser au lecteur la part précieuse qu’est celle de forger sa lecture.  La présentation et la mise en forme du texte ne sont pas si évidentes, je ne vais pas vous mentir, mais qu’il est enivrant de sentir qu’un livre et son auteur vous donnent à voir noir sur blanc, des mots et des phrases sous forme de boutures, de coutures et de rafistolages.  Vous extirperez plus d’idées dans une phrase de R. JIRLG que dans nombreux autres romans.

Extraits :

P.76 : « Ma Premièrenuit ici=dans le Nouvel Appartement, rempli de rêves à l’instar du Sommeiléternel – :?Tout=monvécu jusque-là ?n’aurait-il été ? qu’un rêve-. »

« diktateurs-du-crève-corps=asocial »

« ; car chac 1 fabrique à partir de soi la pierre qui à coup sûr le touchera la moment=venu. »

Cette œuvre est aussi nerveusement intelligente, précisément dans la part d’engagement que l’auteur offre au traducteur, ici Martine Rémon, puisque nous découvrons une forme structurale de la phrase et du mot à la française complètement désarticulés ayant pour genèse des mots allemands eux aussi disloqués.

Entre vous et moi, quand on sait déjà la distorsion cérébrale que demande la traduction d’un simple mot allemand en français, je me dis qu’il faut de la hargne de traducteur pour réaliser une telle gymnastique sur plus de 500 pages. MÉCHANTE!

J’HÉSITE! Martine, la traductrice, aurait-elle le cortex et l’air de Broca différent du commun des mortels ou n’a-t-elle pas tout bonnement le cran de ces êtres-traducteurs pour qui, la traduction du plus long mot allemand soit : Rindfleisch­etikettierungs­überwachungs­aufgaben­übertragungs­gesetz (1), ne serait qu’une activité routinière.  MAGIQUE! (1)Loi sur le transfert des obligations de surveillance de l’étiquetage de la viande bovine.

Parce que je ne suis pas critique littéraire et parce que j’ai concrètement lu ce livre jusqu’à la dernière page, quatrième de couverture et non de l’imprimeur inclus,…. Je confesse qu’il m’aura fallu 4 mois et demi pour mettre fin à la lecture de cette œuvre. SACRE ! De nombreuse fois, je reposais ce gros pavé pour d’autres romans, sans savoir vraiment si cet acte était fait par nécessité, afin de m’octroyer quelques pauses récréatives via un Marc Lévi ou un Anna Gavalda, mes TF1 à moi, mon temps de cerveau disponible pour apprécier amplement la jouissance que produit le retour dans un ovni littéraire tel .Mais n’ayez crainte, ce livre est monumental aussi dans la possibilité nerveuse qu’il transmet au lecteur, que jamais il ne l’achèvera.

Avec son second roman : RENGART ; roman du temps nerveux, ce gratte papier teuton qu’est Monsieur Jirgl démontre qu’une belle écriture peut radieusement être rugueuse, gratteuse ou racleuse  quitte à rendre son lecteur nerveusement captif et captivé. 

Biographie : Reinhard Jirgl est né en 1953 à Berlin-Est. Entre 1978 et 1995, il travaille comme technicien au théâtre Berliner Volksbühne où il a été ingénieur en électrotechnique, avant de travailler comme technicien éclairagiste. Il faudra attendre la chute du Mur en 1989 et la fin de la censure d’État de l’époque pour que ses œuvres soient rendues publiques. Depuis1996, il vit de sa plume et réside toujours à Berlin. Lauréat du prix Georg-Büchner en 2010, ainsi que les prix Alfred-Döblin et Josef-Breitbach, il est l’auteur des Inachevés (Quidam 2007).

Renégat, roman du temps nerveux de Reinhard Jirgl publié en 2005 en allemand et publié en France en 2010 (traduction de Martine Rémon).

 


Goodbye, Berlin

Demain matin et les suivants, je ne me réveillerai plus à Berlin. Contrairement à la légende qui court aux quatre coins du monde, à Berlin, nous ne faisons pas qu’y débarquer et s’y installer, nous ne faisons pas qu’y vivre, avec dans ses cheveux le vent de tous les  possibles.  Pas que… On en repart un jour aussi, à dos de courant d’air, le galop décidé, entre l’Alexanderplatz et  l’aéroport Berlin-Schönefeld.

Graff Berlin – © A.G

Wie bitte ? (Comment ?)

Il y a quatre ans et demi je suis tombée sur Berlin, comme on tombe en amour. Je mettais les pieds dans sa neige  pour la première fois, au mois de décembre 2008,  dans le cadre d’un stage de fin d’études. J’avais 27 ans  et un culot monstre, quand, sans rougir, je mentis à mon futur maitre de stage franco-allemand en lui affirmant que la langue de Goethe n’avait aucun secret pour moi: « jajaja Ich spreche Deutsch ! Kein Problem ! » Le soir même de cette déclaration alambiquée et surtout faussaire, ma tête et ma langue plongèrent tout droit, et pour la première fois, dans le seul et unique livre d’allemand de ma bibliothèque.

Le temps a filé trop vite, je n’étais qu’à la lettre F de mon livre : Apprendre l’allemand de A à Z, quand trois semaines plus tard, je me retrouvais à l’aéroport national de Bruxelles, mon sac de voyage sur le dos, sans le moindre vocabulaire allemand en bouche. Une heure et demie après j’atterrissais dans la capitale allemande.

C’était loin d’être la première fois que je partais, pourtant mon cœur battait vite, tellement, et il a quasi battu à ce rythme pendant quatre ans.

Mon stage achevé, j’y suis revenue le plus vite possible, un mois et demi après, plaquant sur le sol de ma ville belge d’adoption Bruxelles : mon boulot, mes contacts professionnels, mon appartement, mes  amis… Je laissais tout pour mon nouvel amour, celui qui sentait si bon la saucisse au curry : Berlin Wilkommen zu Hause ! (Bienvenue à la maison !)

Rien ne sert de courir, il faut partir à point

Octobre 2013, le même trajet est à refaire, en sens inverse et sans retour. Berlin, je parle ta langue  et tes habitudes sont devenues miennes. Je t’ai marché dessus de jour comme de nuit, pieds nus, emmitouflée, en béquilles,  en titubant. Je t’ai couru dessus en talons hauts, en baskets, en aimant et en diffament,  un vélo sur le dos, ivre, joyeuse, pleurant, perdue,heureuse, gelée, énervée.

J’ai visité tes souvenirs, ton Histoire, tes histoires, tes monuments, tes cicatrices, tes horribles, tes merveilleuses …

Mauerstrasse, Mur de Berlin © Aurore Guérin
Mauerstrasse, un reste du Mur de Berlin © A.G

J’ai traîné dans tes bars, tes restaurants, tes clubs, tes rues, tes boulevards, tes Späti, tes coins et tes recoins. J’ai habité chez des amis, chez moi, dans des collocations. J’ai plissé mes yeux sous les néons de tes supermarchés, tes aéroports et tes galeries d’art.

J’ai travaillé chez toi, j’ai chômé chez toi, j’ai créé chez toi, j’ai été virée chez toi, j’ai retravaillé chez toi,  toi, toi, que toi, partout. Chez toi, j’ai cherché, j’ai trouvé, j’ai perdu, j’ai cru, j’ai désespéré, j’ai adoré, j’ai délecté et un jour même j’ai eu l’effronterie de me dire que tout ça, désormais me passait par-dessus la tête.

Berlin je te quitte, je te laisse planter là, parce que les choses qui me faisaient vibrer chez toi sont devenues des habitudes qui m’ankylosent, parce que notre histoire n’a plus le même goût, parce que je n’ai plus l’étincelle aventureuse de celle qui aime.  Berlin, je te quitte comme je suis venue, avec la même allure, sur un coup de tête. Berlin auf Wiedersehen ! Tschüss ! Tschüssi ! Adieu !

Aujourd’hui je ne me réveille plus dans le Berlin made in Germany mais dans le creux du ventre de là où je suis née, retour en France momentanément.

Berlin, même de loin, ma bouche porte encore le goût sucré de tes Berliner, Berlin même ailleurs, je te souris encore.

Ich « war » ein Berliner. Par ce billet, je rembobine la bande de tes sons et celle de tes images.

En me souvenant,  j’écarterai les bras de toute leur longueur dans l’immensité de ton Kufürstendamm. Je chercherai tête en l’air, la pointe de ton Alexanderplatz. C’est la démarche chaloupée, branchée et bohème que j’humerai ton Prenzlauer Berg, j’emprunterai l’énormité de ton Tiergarten, je courrai  aux fesses de tes lapins, je nourrirai tes écureuils, je croiserai tes renards, j’irai faire la française hautaine au gourmet de tes Galeries Lafayette,  je longerai les restes de ton mur, je plongerai dans ta Spree, c’est métaphorisée en Hipster que je glanderai dans les rues de ton Kreuzberg, je boirai tes bières Berliner Kindl, Astra, Paulaner Weisse…et terminerai par quelques gouttes de ton Jägermeister, je débattrai dans les bars de ton Neukölln, je titillerai le diable de ta Teufelsberg, je croquerai dans les Döner de tes quartiers turques, je trottinerai sous les tilleuls de ton Unter den Linden,  je grimperai sur ta petite colline d’histoire de ton Humboldthain, je redonnerai la couleur rouge à mes joues sur les pistes de ton Tempelhof, je m’endormirai dans tes buissons, je relirai le totalitarisme et la modernité d’Hannah Arenth dans ta rue qui porte son nom, j’irai dans ton Est et dans ton Ouest, je me courberai  dans tes tunnels, je m’isolerai dans tes ex-bunkers et abri-aériens, je supporterai ton équipe de foot, ta Mannschaft sur ta Strasse des 17.juni, je poserai le pied sur tes Stolpersteine(1) ,  j’éviterai les pirates pour rejoindre ton Île des musées, je sauterai à cloche pied au-dessus de tes Kindergarten (jardin d’enfants),  je fixerai du regard le Buste de ta Néfertiti,  je m’assiérai dans tes cinémas, je pesterai sur les touristes amassés devant ton Checkpoint Charlie, je me perdrai dans le gris de ton Mémorial de l’Holocauste, je lirai dans tes bibliothèques,  je ferai face à ton Reichstag pensant que je n’ai  toujours pas gravi sa coupole, je croiserai ta chancelière à la caisse du supermarché Ullrich de Mitte, je prendrai tes Ubahn (métro) à toute heure du jour comme de nuit, je trinquerai avec tes habitants dont certains sont devenus mes amis, je me baignerai dans les lacs de ton Weißensee, j’écouterai jouer mon guitariste au bord de ton canal, je danserai sur les toits de tes immeubles, je m’abasourdirai de vin chaud dans tes marchés de Noël, je m’émotionnerai dans ton Philharmonie, je chanterai à ton karaoké, je chinerai dans tes brocantes, je ferai le mur dans ton Mauerpark, je trépignerai au son de tes feux d’artifices…

L’étranger d’Albert Camus

Quand  Meursault reçut comme proposition de son patron de partir d’Alger pour aller travailler au bureau qui allait s’ouvrir à Paris, Albert Camus écrivait : […] « Il m’a demandé alors si je n’étais pas intéressé par un changement de vie. J’ai répondu qu’on ne changeait jamais de vie, qu’en tout cas toutes se valaient […]  » Immensément grande, donc, restera la valeur de ma vie berlinoise !

Chanson de Marlene Dietrich  Das ist Berlin

Berlin
(1) Plaques en laiton qui honorent la mémoire d’une victime du nazisme. Encastrées dans le trottoir devant le dernier domicile des victimes – Berlin – © A.G
Reichstag - Berlin -
Reichstag – Berlin – ©A.G
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Arena-Berlin Club der Visionaere © A.G
Berlin Badeschiff
Berlin Badeschiff © A.G
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MauerPark Berlin ©A.G
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Berliner Dom ©A.G
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Quartier de Kreuzberg ©A.G
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Checkpoint Charlie – Berlin – ©A.G
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Quartier Mitte – Prenzlauer Berg – ©A.G
My beautiful picture
Holocaust Memorial – Berlin – ©A.G
Tachales ancien Squat berlinois fermé en 2012 ©A.G
Aéroport Tempelhof – transformé en parc public ©A.G
graffs de Blu dans Cuvrystraße – Berlin – ©A.G

 


Caressez le Mondoblogueur dans le sens du poil

C’est la rentrée! Le 7 septembre se sont achevées les candidatures pour la saison 3 de Mondoblog RFI. Oyé Oyé! Mondoblogueurs  saison 1 et 2,  le moment est venu de  faire les sardines, serrons-nous, les chiens fous de la saison 3 vont débarquer ! Du sang neuf, de la viande fraîche à se mettre sous les yeux, les petits nouveaux de la saison 2 que nous étions, vont devenir les grands anciens;  je ne parle même pas des Mondoblogeurs de la saison 1 qui vont atteindre la sénilité !  Voici peut-être venu le moment de jouer aux égocentriques sur la plateforme Mondoblog,comme dirait l’autre : un hommage n’a jamais fait de mal à personne ! Le temps d’un billet,  léchons-nous donc les bottes, (enfin JE vous lèche les bottes) histoire de recommencer une année  requinqués et du bon pied.

De Ziad à ZEUS, il n’y a qu’un pas, ou plutôt il n’y a pas qu’un  Z.  Il est le roi des dieux dans la mythologie mondoblogueste. Un dieu justicier, protecteur bienfaiteur et sauveur. Homère avait, à juste titre, fait de Zeus, dans l’Iliade, l’aîné de la famille et c’est bien en véritable grand frère qu’il exerce son autorité. Il règne sur notre ciel rouge et blanc, et a pour symbole, l’aigle et le trait de foudre… Grande évidence que voilà, les Mondoblogueurs qui ont un jour croisé le regard audacieux et franc de Ziad comprendront la chose, sans parler de ceux qu’il aura remis sur « le droit chemin » par un mot, un message, une intention… Ziad veille au grain et le grain s’en porte plutôt très bien !

De Simon à Simon, il n’y a que Simon.  Pour parler du Monsieur, j’ai immédiatement censuré l’idée d’une comparaison quelconque avec un dieu mythologique, puisque Le Simon, c’est bien plus que ça, c’est une idéologie, un concept, une pensée à lui tout seul. Son aide, son soutien, son humour et son professionnalisme  sont immensément inhérents, ses commentaires font toujours mouche, ses publications Facebook n’ont pas leurs pareilles, sans omettre de parler de ses coups de gueule, rares, mais qui, quand ils passent, font leurs effets dans la communauté. Ne soyons pas étonnés si ce chef-là rentre un jour prochain à la lettre S du Larousse et du Robert, en poussant bien, entre similitude et simonie, nous trouverons de la place pour y  glisser : simonage : technique à la Simon. –  simonément : état se rapprochant du Simon – simoner : agir en Simon, – simonif(ve) : réaction émotive à la Simon.

De Florian à Cupidon, seul un lancer de flèches les sépare. Armé de son arc Cupidon tire des flèches dites d’amour, celles et ceux qu’il atteint tombent immédiatement amoureux ;  le Kangosseur est lui aussi  doté de ce pouvoir divin,  enfin à une nuance près,   il semblerait qu’il se tire trop souvent une flèche dans le pied, Florian est  l’éternel amoureux de la liane, le Bel ami de Mondoblog ;  pour sûr, si Maupassant était né au Cameroun, Bel ami n’aurait jamais porté un chapeau sur la tête mais une Castel à la main, et  ne se serait pas amèrement nommé Georges Duroy mais aimablement Florian Ngimbis.

De Serge à Hermès, seul un clavier d’ordinateur les sépare. Dans la mythologie grecque, Hermès est le dieu du commerce, des voyageurs, des marchands, des médecins mais il est avant tout le messager des dieux, le dieu de la communication. Pas un échange, une vente, une rencontre ne se déroulait sans qu’Hermès n’ait entendu ouï-dire de quelque chose. Dans l’univers Mondoblog, c’est Serge, le congolais du Brésil qui perpétue la divine tradition. Attention à Mondoblog aussi nous sommes sur écoute !  Pas un billet, ni un message n’échappe à Serge, il suit 60 conversations en même temps, donne un avis construit et justifié à la fin de chacun de nos billets, il prend régulièrement des nouvelles en message privé et  il publie en moyenne un article par jour… Mais comment fait-il ? Car pour ceux qui en douteraient encore, Serge lit sans détours ni contournements les publications de chacun. En marge de ses brillantes études, il est là pour tout le monde, en même temps et continuellement. Serge, sans rire c’est quoi ton truc ? Ne me dit pas qu’un jour Raphaëlle Constant va nous révéler une sale affaire : je vois déjà les gros titres : Le nouveau Snowden de Mondoblog ! La Vie des gens de Mondoblog, L’affaire des écoutes de Serge K

Le Cerbère, ni dieu ni humain, il n’en n’est pas moins la bête mondoblogo-mythique à quatre têtes: Raphaëlle, Pierrick, Elliot et Hugo. Mondoblogueurs;  je vous vois déjà m’écrire que je fais fausse route, puisque ces quatre têtes-là sont tout sauf des gardiens de l’Enfer, des enragés du clavier ! « Pour le moment ! », vous répondrais-je,  puisqu’un jour viendra où la bête exaspérée par cette manie très mondobloguesque que nous avons à de ne pas toujours suivre ce qu’ils  nous expliquent clairement en  long en large  et en travers, un jour disais-je, las, ils aboieront des tutoriels tout droit sortis des portes de l’enfer.  Faisons un effort, ne réveillons pas la bête. cette année on se rentre une bonne fois pour toute dans nos têtes de linottes: les photos, le format c’est 640 / 480

David Kpelly ou le dieu Thot. Thot appartient à la mythologie égyptienne, il est l’inventeur de l’écriture et du langage, ce qui justifie son rôle de dieu des scribes. Il incarne l’intelligence et la parole. Qui lors du Mondoblog-Dakar, dans un des bus, n’a pas respectueusement écouté silencieusement David nous raconter.  Le respect que l’on offre à David tout comme Thot  lui vient de son savoir illimité ou presque… Toutes les sciences, surtout littéraires sont en sa possession. Thot a inventé l’écriture, David le professeur a créé son blog et il est l’auteur de romans et de recueils de nouvelles. La légende égyptienne raconte que les anciens restaient persuadés que le savoir et la connaissance qu’ils avaient acquis, leur ont été transmis par des livres et des écrits que Thot aurait volontairement abandonnés dans des temples, j’ignore si Thot fut capable d’un si bel acte en tout cas, si cet acte se renouvelle dans quelques années,  j’aurais moins de doute en ce qui concerne David.

Pascaline ou la Nymphe au sac à dos.  Etre la nymphe de Mondoblog demande beaucoup d’aventures et de voyages dans les jambes, la jeune Pascaline semble vouloir trotter autour du globe. Fraîchement rentrée de son année à Alexandrie et de ses quelques semaines à Dakar, elle est la seule des blogueurs ayant eu l’intelligence de se rendre disponible afin de prolonger son séjour dans la capitale sénégalaise.  Pas bête la Nymphe !

De Faty à la déesse Hestia, c’est une histoire de pain chaud. Le mot grec hestia signifie le foyer, c’est-à-dire là où est entretenu le feu. La déesse grecque incarne l’attachement au foyer, bien que notre déesse Mondoblogueuse a été quant à elle contrainte de quitter momentanément le sien, Tombouctou, mais n’est pas déesse qui le veut, Faty garde en elle un attachement sans fin à son pays.  A Dakar, la blogueuse malienne me raconta, que chez elle, au bord du fleuve Niger, elle avait pour habitude certains matins, au réveil, d’enfourner du pain frais dans l’un des fours à pain de Tombouctou, quelques minutes de cuisson et un pain chaud était prêt à être déguster. Elle me montra une photo de ces fours à pain sur son nouveau téléphone portable et voici une chose inexplicable de plus dans ma vie, mais je crois que jamais je n’oublierai cet instant.  Ce n’est pas tant un récit qui vous marque, c’est la préciosité des mots de celui qui vous le raconte, et croyez-moi question « mots » Faty notre déesse Hestia en Bazin a tout ce qu’il faut d’art et de manière.

Salma ou La déesse Athéna. Divinité guerrière, elle représentait la bravoure réfléchie. Elle n’aimait pas les batailles; au contraire, elle a le pouvoir de faire cesser querelles ou malentendus par un regard. Salma pour moi, c’est minutieusement une blogueuse avec ce regard-là, qui écrit ce qu’elle voit et vit, sans compromis ni tergiversations.

A partir de cet instant ma mythologie va perdre pédales, esprit  et bon sens mais croyez-moi c’est pour la bonne cause, nous sommes en surplus d’Apollons…

L’Apollon Boubacar parle peu mais pense beaucoup. Il a le pouvoir des gens dont la belle discrétion  fait toute la présence. Il se dit maladivement timide, je le trouve plutôt subtilement engagé et doué, ses billets comme ceux de Faty sont devenus des incontournables pour mieux comprendre le Mali. Boubacar tout comme Apollon dégage une humilité, une intelligence et une élégance divine.

L’Apollon Mamady, le dieu de la poésie. Apollon symbolise l’inspiration poétique, cette inspiration-là, Mamady aime la partager, il aime écrire des histoires, des nouvelles (souvenir d’atelier d’écriture). Un jour à Dakar à Thialy, je le vis assis son cahier à la main, je lui demandais  alors ce qu’il faisait et il me répondit d’un naturel déroutant: « Je vais écrire un poème ! »

Le Berliniquais ou l’Apollon d’Outre-Mer.  Je lis depuis presque 3 ans maintenant les pérégrinations de ce berlinois d’adoption, tout comme moi, à travers son blog personnel Les chroniques berliniquaises. L’année dernière, quelle fut ma surprise quand  j’ai réalisé que nous avions tous les deux rejoints RFI Mondoblog… N’est pas Berliniquais celui qui veut, croyez-moi, ce blogueur-là, c’est du talent et de la grande classe  qui devrait percer dans le milieu de la presse écrite ou internet  un jour très prochain. Depuis, j’ai converti à cet Apollon du blogging  quelques ami(e)s francophones expatriés en Allemagne, ce qui m’a valu pas plus tard que lundi dernier, une déclaration du tonnerre de Dieu en plein milieu d’un dîner entre amis  francophones, dans l’arrondissement Berlinois de Friedrichshain (là où il vit) : «  Aurore t’as vu les tomates du Berliniquais !!! » L’Apollon en question comprendra…

Des Apollons en veux-tu en voilà ! Le Mondoblogueur franchit monts et marées, s’investit corps et âmes  mais sait rester subversif,  incisif et  vaillant   en toutes circonstances. Andriamihaja,  Aphtal, Alimou,  Daye, Moussa, Wilney, Rijaniaina, Stéphane, Ladji, Fofana, Médoune, Jérome, Gaïus, Emile, Michel, William, Adj, Carlos, Ousmaane, Madigbè, Baba, Jeogo, Ameth, Hassan, Boukary, Seydou, Boukari, Johnny, Adjmaël, Robert, Yanik, Mohamed, Abdallah, Arouna, Nicolas, Cyriac, Idriss, Thierno, Charles, Kahofi, Mamadou Diallo, Babylas Serge, Basile, Salim, Nelson… sont de ce cru-là ! Les nouveaux Mondoblogueurs en jugeront par eux même, mais avec des Apollons pareils, on s’engouffre inévitablement dans une dépendance bloggonesque… Une semaine sans la parution d’un billet de notre star Alimou ou d’Aphtal et on perd rapidement tous ses repères. « J’ai dit. »

Le panda nommé René Jackson. Vu à distance, derrière ses lunettes de soleil, les yeux du panda donnent l’impression d’être toujours fermés. Rusé l’animal,  il joue avec l’astuce le malin, puisque notre Panda a au contraire  les yeux grands ouverts, pour ceux qui en doute encore, lisez From Doula with Love, Les Bob’s 2014 n’ont qu’a bien se tenir. Enfin je dis ça, je dis rien…mais bon quand même « J’ai dit  »

Et un jour Mondoblog créa les Mondoblogueuses:  Cynthe, Mylène, Axelle, Sinatou, Nathalie,  Faty Kane, Josiane, Kpénahi, Manon, Limoune, Lucile, Nora, Lalah, moi… Ces blogueuses caustiques et intrépides n’ont rien chapardé à personne; au contraire derrière leur  plume clavier, les  Mondoblogueuses ont la réputation d’être intelligemment douées et audacieuses.

Mention spéciale pour deux d’entre-elles qui vont cette année parfaire leurs armes de blogueuses et de journalistes: Kpénahi (Burkina Faso) a intégré l’Ecole Supérieure de journalisme de Lille et Sinatou (Bénin) rentre fin septembre en Master Recherche Etudes en Technologies de l’Information et de la Communication à l’Université Stendhal de Grenoble.

S’achève ici même mon zèle, mon étalage de pommade. Le cirage de pompes fera, je l’espère, son effet. La cloche a sonné, pour cette nouvelle rentrée RFI,   c’est leur blog sur les épaules et les souliers étincelants, que les Mondoblogueurs saisons 1 – 2 – 3 et leurs chefs vont retrouver  le chemin du clavier. Très bonne rentrée à toutes et à tous.

Retouvez tous les Mondoblogueurs et leurs blogs sur la plateforme Mondoblog, sur Facebook et sur Twitter @mondoblog

Et on n’oublie pas l’autre communauté destinée aux blogueurs de Libye   Libyablog, sur Facebook et sur Twitter @Libya_blog

 


Ich liebe dich quand même!

Comme promis, je reprends les choses là où je les avais laissées en plan, à la fin d’un billet précédent. Le dernier paragraphe disait: « Mon prochain billet sur la relation franco-allemande sera plus léger, il parlera d’une histoire de poubelles allemandes mais débutera par une phrase féerique. » 

Il était une fois en  Allemagne et en France, une Saucisse et un Flamby.

Qu’ils soient dans les hémicycles politiques ou derrière une bière, les coudes plantés sur le zinc, les Français et les Allemands s’adonnent au vilain plaisir de se critiquer mutuellement. Cette habitude, durement pratiquée dans des temps passés, perdure encore aujourd’hui avec plus de légèreté. C’est donc sans trop écouter l’autre, sa petite phrase bricolée sous le bras et son cliché bien ancré entre les dents que franchouillards et teutons s’encanaillaient à coup de : À qui la faute ? Qui doit changer ? À qui ressembler ?  Vous êtes trop inconscients et irresponsables ! Vous, vous êtes trop austères et graves ! À qui appartient Franck Ribéry ? Et qu’en est-il alors de nos deux dirigeants?

Je poursuis donc ici même ma déraisonnable subjectivo-subjective analyse de cette chose susceptible que l’on caresse « européennement » avec des gants de crins des deux côtés du Rhin, soit la relation franco-allemande.  

Paris, en juin dernier : Remake des parapluies de Cherbourg

Angela court vers François chabadabada, il pleut mais sans hésiter François court vers Angela chabadabada … Pour une fois, l’un avance et que l’autre ne recule pas… au contraire. C’est parapluie sous parapluie (règne de Hollande oblige) que François conduit Angela au Musée du Louvre visiter l’exposition consacrée à la peinture allemande de l’avant-Seconde Guerre mondiale. Ach jajajajajaja !

Merkel-Hollande
Rémy Molinari, caricaturiste et dessinateur de L’Intrus

Terminé le rififi. Concrètement ou presque, depuis plus de deux mois maintenant, la Chancelière allemande et le Président français font mine de raviver la flamme de leur Love Story sulfureuse en rabibochant les vases brisés. Oh Ja ! Au programme : des accords unanimes dans l’Eurogroupe, une contribution commune pour un pacte de croissance et salaire minimum européen avec en ligne de mire l’emploi des jeunes, sujet phare du sommet européen organisé début juillet à Berlin. Bref, un petit pas pour l’Union Européenne mais un grand pas pour la relation franco-allemande.

[…] « Il pleut tout le temps, mais vous allez voir ça va se lever. » F. Hollande

Il y a du mieux entre François et Angela, mais ce n’est pas parce que deux enfants se serrent la main après s’être roués de coups dans la cour de récréation, que la confiance ne se regagne pas petit à petit, à coup de mitraillage de boulettes de papier.

Le sourire  d’Angela vers François est jaune, mais le tailleur Est-allemand de Frau Merkel n’a pas tremblé  d’un pli. A Leipzig, le 23 mai dernier, où il était venu assister à la cérémonie du 150 e anniversaire du parti social-démocrate (SPD), le président Hollande saluait vivement les réformes lancées en 2003 par l’ancien chancelier, Gerhard Schroeder, pour assouplir le marché du travail allemand. Hommage relevé donc à un chancelier SPD (Parti Social-Démocrate) devant une chancelière CDU (Union Chrétienne Démocrate), le tout à deux mois des prochaines élections législatives allemandes, qui opposeront justement la chancelière CDU à Peer Steinbrück du parti SPD, Oups ! Une semaine après, à Paris, la riposte d’Angela fut subtile quand lors d’une conférence de presse commune la chancelière allemande confondait, dans un lapsus (ou pas), François Hollande et François Mitterrand, Aïe! 1 partout égalité ! Balle au centre !

L’amour sera toujours l’amour, ça commence comme un conte de fées et ça s’achève en réglant ses comptes !  La chancelière et le président ont vidé leurs bouches de leurs mots et leurs pensées de leurs maux : Après la pluie le beau temps ! Ah Ja ! Mais pour combien de temps ?

Si j’ai bien compris le schmilblick franco-allemand, avant de se réconcilier, il faut vider son sac, ce qui tombe bien, le mien est plein !  

Cher François, Monsieur le Président Waterproof, ce qui suit est ma pierre à l’édifice pour une bonne harmonisation franco-allemande. Vos accords européens, politiques, financiers et sociaux avec l’Allemagne sont enfin de bon ton mais réfléchissez tout de même à deux fois avant de dire Ja ja à tout, par pitié dites NEIN aux éléments futiles inscrits sur cette  liste, que j’ai rédigée en totale absurdité pour vous.  

Salutations distinguées d’une française à Berlin.

PS : Monsieur le Président, veuillez considérer MEINE GROSSE DOSE d’ironie !

Je donne ici même en pâture quelques petites mignardises allemandes que je rumine avant d’en sourire ; que mes amis allemands me pardonnent et restent encore mes amis. Danke ! Heureusement aucun ne parle français !

NEIN aux poubelles allemandes! Ma grand-mère maternelle, âgée aujourd’hui de 91 ans, me demande toujours quand je lui rends visite : _« Aurore, c’est toujours  très propre en Allemagne ? »

Poubelles Berlin ©A.G

Tout comme moi, elle a vécu en Allemagne, contrairement à moi elle a été contrainte d’y survivre, (mais ça c’est l’histoire d’un prochain billet). A chaque fois que j’entends cette constatation de mon aïeule, j’ai comme qui dirait des centaines de poubelles de couleurs, de tailles et de fonctionnalités définies dans une praticité sans nom, qui me submergent l’esprit.

la poubelle allemande, un objet de décoration à ne jamais se procurer!
Nouvelle décoration de cuisine: Les poubelles ©A?G

Poubelle, poubelle dis-moi qui est la plus belle ! J’ai souvent entendu dire qu’on apprend beaucoup sur les gens quand on fouille dans leurs poubelles. De toute évidence, en Allemagne, on connait les gens à la façon minutieuse dont ils trient leurs déchets. Mes amis allemands ironisent en me disant que c’est un sport national, pour moi depuis 4 ans, c’est mon casse-tête chinois allemand.

Qui va dans quoi ?  Où va qui ? Ma respiration s’accélère. Mon front sue à grosses gouttes.  Mes mains moites glissent sur le sac plastique. Aujourd’hui, je descends les poubelles !

Face à moi le néant :

Si comme moi vus jeter jamais des canard et des arrosoirs, cette poubelle n'est pas pour vous!
Si comme moi vous ne jetez jamais des canards et des arrosoirs, cette poubelle n’est pas pour vous! ©A.G

– les poubelles bleues : pour le papier, le carton
– les poubelles marron : pour les produits bio, déchets alimentaires qui feront du compost
– les poubelles noires ou grises : pour les déchets non recyclables
– les poubelles jaunes : pour les plastiques avec le logo recyclable « point vert »               – la poubelle à verres  verts, la poubelle à verres blancs et celle à verres marron

Attention, après le tri, il faut aussi respecter les temps de repos. Il est interdit de déposer nos bouteilles dans les conteneurs le dimanche ou pendant les heures de repos, en cause la nuisance sonore. Oui ! Monsieur le président, au pays d’Angela, il semblerait que les gens se reposent tous en même temps !

Bref, vous comprendrez ma perdition, moi qui fus élevée dans une famille française où la charte était : une poubelle pour tout !

Travaux pratiques : je dois mettre à la poubelle un bocal de petits pois. Dans quelle poubelle vais-je jeter, ce bocal en Allemagne? Dans la poubelle à verre blanc. FAUX !!!

La réponse était : Mettre le reste de petit pois collés au fond du bocal dans la poubelle à compost. Nettoyer le bocal à l’eau. Déposer le couvercle en métal dans la poubelle noire, arracher l’étiquette en papier pour la jeter dans la poubelle à papier bleu et vérifier la couleur du verre, (Blanc) et ce afin de le jeter dans la poubelle pour les verres de couleur blanche.

« Madame de la 3 étage,  Non plastico dans le poubelle ! Merci ! » : La magie de Google traduction a opéré.

Je n’ai jamais réussi à connaitre ce mystérieux voisin, qui me laissait  avec entêtement et intérêt des Post-it. Qui est-il celui qui passait derrière moi rectifier avec une bienveillance écolo-germano-agacé mes erreurs de française? Depuis j’ai quitté cet appartement. Le dernier jour, j’ai laissé à mon tour, en allemand, un Post-it pour celui qui me connaissait par le truchement puant de mes poubelles : « Monsieur le Voisin! Je pars pour toujours. Les poubelles, l’Ecologie, la Planète et moi-même vous remercient. » C’est aussi ça, l’amour franco-allemand (Clin d’œil à mon collègue Mondoblogueur sénégalais Amet DIA qui connait un problème de poubelle d’un autre genre, à lire)

Nein au flirt allemand. Je suis une romantique qui ne croit ni à la fidélité ni au mariage, mais qui croit au regard timide d’un Charmant  qui m’offrirait de déguster une glace  vanille-fraise sur un banc public. Malheureusement « romantique » et « offrir »  n’est pas  allemand !

Nein aux Abend Brot  (Pain du soir) soit le tapas espagnol sans le gout ni l’exotisme ! Un pain noir tranché que l’on mange avec de la charcuterie douteuse entre 18h et 20h.

Nein aux végétariens et vegans, la tendance berlinoise à l’état pure. Véridiquement insupportable de lire dans les annonces pour une colocation en appartement: «Uniquement maquillage biologique dans la salle de bain, merci ! » Quoi ?  « Nous ne voulons pas de viande dans le frigo, est-ce un problème pour toi ? »   Ah ça tombe très mal car ma viande vit très mal la proximité des carottes et  des tomates,  ça te pose Ein großes Problem?

Nein au vélo à toutes heures, et à toutes saisons. Le maudit deux roues m’a valu un accident de la route avec beaucoup de fractures et une année de rééducation.  Depuis, je suis atteinte de bitrochosophobie (la peur du vélo) dans une ville où le vélo est le meilleur ami de l’homme. Scheisse !

Nein à la saucisse ou aux cornichons en bocaux que tu peux croquer en en-cas à tout moment du jour et de la nuit.

6 saucisses Deutschländer dans bocal en verre de 330g
6 saucisses Deutschländer dans bocal en verre de 330g

Nein aux supermarchés Bio Compagny qui comme les pissenlits envahissent toutes les rues berlinoises. Je n’ai rien contre les magasins bio mais une fois à l’intérieur et même à l’extérieur, l’odeur de croquettes pour chats qu’il s’en dégage m’insupporte.

Nein à la Birkenstock: Le mocassin d’été allemand qui a encore moins de contenance que la Tongue !

Birkenstock - Photo et site internet de Garance Doré.
Birkenstock – Photo et site internet de Garance Doré.

Nein au FKK (Freikörperkultur soit la culture nudiste allemande). Mes colocataires s’insurgent  timidement devant une nuisette (dédicace à mes amies françaises me rendant visite) mais trouvent bizarre que j’aille au sauna et à la plage en maillot de bain !

Nein aux mots allemands portant à confusion comme das Kopfkissen qui  signifie Oreiller. Kopf = tête et Kissen =  Coussin. Ne pas confondre Kissen  avec le Kiss anglais, car vous risqueriez de ne pas comprendre pourquoi après une opération chirurgicale, médecins et infirmières veulent tous, sans exceptions, vous faire un baiser sur la tête. 

Nein à la ponctualité à tout prix : LE cliché suprême ! Pourtant, je souffre juste d’être LA maudite qu’on attend le ventre creux, quand j’arrive 30 minutes en retard au  traditionnel Frühstück allemand (Breakfast) du dimanche matin. Cool, les amis, c’est le week-end!

Madame la Chancelière, Monsieur le Président, je ne m’habituerai peut-être jamais à tout ça et c’est un mal pour un bien. C’est des clichés diront certains, c’est culturel diront d’autres, c’est une histoire d’amour vous dirais-je. A bon entendeur salut !  


Y’a pas photo !

J’ai connu un jeudi en juin qui avait mal commencé. Vous savez, il y a des jours comme ça !  Une journée où on laisserait bien sa tête dans son oreiller jusqu’au lendemain matin. Une journée où on perdrait bien tout son temps et son énergie à éteindre le réveil qu’on reprogramme à RE-sonner toutes les trente minutes. Une journée à qui on ne voudrait nominativement donner aucun  jour. Une journée qu’on laisserait bien là où elle se trouve,  ici-là-bas,  temporellement en plein milieu d’une semaine.  Une journée qui coïncidait pile-poil avec ce que j’appelle anciennement : «ma journée de congés » et tendancieusement  « mon day-off ».

Bref, cette journée-là  n’était rien de plus qu’une journée où l’on m’avait contractuellement permis de ne pas aller traîner mes pieds à mon job-alimentaire berlinois sans intérêts notoires. Une journée donc, où ma chef, après accord hiérarchique de son chef, m’avait accordé du temps de repos à moi la chef de personne, (je ne m’en plains pas, je suis déjà à temps plein  ma propre chef et ce n’est pas une mince affaire.)

Oscillant entre le plaisir immédiat de dormir toute la journée, et le remords  de ne pas me lever pour profiter d’une journée de congés, je tentais doucement mais sûrement de lier les deux options,  soit, passer ma journée à dormir de debout.

Quand soudain, mon téléphone sonna.

Au bout du fil –  je veux dire au bout de l’onde – une vieille amie française, rencontrée à Bruxelles, souvent revue à Cologne, où elle vit et réalise ses documentaires. Bref, elle me dit :

_  Aurore, je suis pressée, je fais vite, je t’explique, je suis à Berlin trois jours  pour le festival du Webdocumentaire Storytelling Online, tu fais quoi aujourd’hui  entre 14h et 17h ?

Euh, aujourd’hui, Oohh là, j’ai pour grand projet de dormir debout ! Pourquoi ?

_  J’ai un ami qui est l’assistant d’un professeur à la Kunstschule (l’école des Arts de Berlin) et qui m’a dit, hier soir, que dans le cadre du festival Web-docu, le photographe-reporter Patrick Zachmann de l’agence Magnum  passe cet après-midi à l’école pour rencontrer des étudiants en photographie ; il m’a proposé de venir, ça te dit de m’accompagner aussi ?

Jamais transportation ne fut si rapide !

Mon sang n’a fait qu’un tour, en deux temps trois mouvements, je me retrouve assise dans un petit bureau de l’Ecole des Arts de Berlin. Le volume de cet espace ne dépasse pas les 20 m2. Sous une lumière jaune et poussiéreuse, j’effectue un 360°sur moi-même, un patchwork d’affiches de tout genre recouvre une peinture murale salement roses-orangés, partout  des étagères bavent du papier de toute sorte, à mes pieds des livres d’art sont empilés à même le sol.

Rapide tour de table !

Au centre de la pièce, une table rectangulaire et six chaises où est assis,  Patrick Zachmann, à sa droite mon amie Mathilde, à sa gauche Cécile Cros (directrice associée de Narrative, production pour les nouveaux médias Paris),  leur faisant face, un berlinois, un italien et moi-même.

C’est son appareil argentique posé sur la table et le rhume au nez que Patrick Zachmann  prend ses repères :

_Vous pouvez tous vous présenter ?

Étaient présents,  un étudiant berlinois et un photographe free-lance italien, tous deux âgés d’une trentaine d’années. Le premier a pour l’essentiel réalisé des séries de photos sur trois de ses voyages en Pologne, au Bangladesh et à Belgrade. Le second est fraîchement de retour des soulèvements du Printemps arabe, qu’il a suivi sans  discontinuité. De ces expériences photographiques  en sont ressortis pour le premier : trois livres auto-édités et un  Web-documentaire auto-réalisé pour le second.

Quant à moi, je confesse à  mes compagnons de table,  ne pas être photographe, mais journaliste-blogueuse pour RFI et leur demande la permission d’assister à la discussion. Droit dans les yeux, Patrick Zachmann me demande alors du haut de son ton rauque et  faussement  nonchalant:

_  Pour qui  t’écris ?

Atelier des médiasMondoblog de Ziad Maalouf et Simon Decreuze…

Patrick Zachmann porta un mouchoir en papier à son nez, se moucha, fronça ses grands sourcils noirs ; puis un court silence s’engouffra dans les moindres recoins de la pièce, pas une page de tous ces livres autour de nous ne put détourner le souffle bref mais fort de ce courant d’air silencieux! Je savais que cette rencontre était privée et j’ai bien cru retrouver plus rapidement que prévu les creux moelleux de mon oreiller du jeudi.

_ Ah Ouiii ! Je connais  Ziad Maalouf,  je pense… j’ai souvent été invité par Philippe Couve pour l’Atelier des Médias… Bah Super, restes !

Grâce à mes grands chefs Mondoblogueurs, je venais de gagner mon ticket d’entrée dans une après-midi à débat photographique avec un des meilleurs photographes de l’agence Magnum. Il y a des petits bonheurs qu’on doit à soi et à d’autres, des petits bonheurs qui font de votre jeudi vide, un jeudi plein.

 « Je suis devenu photographe parce que je n’ai pas de mémoire. Mes planches contactes sont mon journal intime. » P.Zachmann

En 1976, Patrick Zachmann est photographe free-lance.  C’est en 1989, qu’il devient rapidement un des piliers de l’Agence Magnum. Depuis plus de trente ans, dans le cadre de ses travaux personnels ou de commandes, Patrick Zachmann s’intéresse aux questions liées à l’identité, à la mémoire et à l’immigration.

Deux regards sur l’avenir de la Chine

C’est seulement en 2009, que je découvre via Lemonde.fr, un des projets web-photo de Patrick Zachmann : Génération Tian’anmen –Avoir 20ans en ChineDans ce web-documentaire en trois parties, réalisé par la société de production Narrative de Laurence Bagot et Cécile Cros, Patrick Zachmann, qui travaillait à Pékin lors des mouvements de la place  Tian’anmen,  se rappelle  de cet événement et nous dresse le portrait croisé d’un Chinois, âgé de 20 ans en 1989, et d’une jeune étudiante chinoise en France, de 24 ans en 2009.

Crédit photo Patrick Zachmann
Crédit photo Patrick Zachmann

Quand je n’ai pas osé faire une photo d’un photographe !

La rencontre a durée 2h30, je vais raccourcir en quelques lignes.  Les deux photographes ont chacun montré leurs différents travaux.  Patrick Zachmann a partagé son expérience et son point de vue professionnel, sans omettre de demander  un avis et un ressenti à toutes les  personnes présentes.  Loin de la technique photographique, le débat  s’est pour l’essentiel articulé autour du conseil, du désaccord aussi et  d’une incroyable sincérité de la part de tous les protagonistes. Une chance d’avoir pu évoquer le photo-reportage et le web-documentaire en si petit comité et en si bonne compagnie.

Extrait de l’entretien traduit de l’anglais:

« Avant de prendre une photo, il faut prendre son temps et savoir pourquoi tu vas prendre une photo. »

« Tu dois capter une atmosphère, une histoire, mais en même temps, tu ne dois pas oublier qu’au moment de cadrer ta photo, c’est toi qui le fait. Etre photographe, ce n’est pas juste prendre des photos bien composées, où le cadre, la lumière et l’ombre sont parfaites.  Être photographe,  c’est surtout et avant tout penser son sujet, c’est-à-dire comment faire pour rendre compte en images d’un sujet.  Pourquoi tu veux prendre cette photo et comment tu vas le faire.  L’idée est de se dire comment faire pour démontrer que ces photos-là, seul toi peut les faire de cette façon. […] »

« Accepter et s’aider de la critique. »

« […] Pour les gens de ma génération qui ont commencé avec l’argentique, la démarche de prendre une photo était différente d’aujourd’hui avec le digital. Maintenant, c’est presque plus facile de prendre une bonne photo car tu peux en prendre beaucoup, ce qui est une très bonne chose, mais en même temps la possibilité du nombre que permet le digital devient un peu un piège pour le photographe puisqu’une fois toutes ces photos devant lui, il faut les trier et choisir LA bonne et ce n’est pas toujours si évident. C’est pourquoi je vous conseille de montrer vos photos à d’autres gens (éviter votre famille!)[…] »

« Comment faire correspondre l’intention avec  le  résultat ? »

« […] Personnellement, j’ai toujours besoin du regard d’une personne extérieure afin de prendre mes distances avec mes propres photos. Pour X raisons qui me sont propres, je peux être attaché à des photos qui ne sont pas aussi bonnes que je le crois. Et ça, je peux le voir à la réaction des personnes à qui je montre ces photos. Ils ne réagissent pas comme je le voudrais ou comme je l’aurais pensé. Moi par exemple, je vais vouloir montrer une photo à une personne, je vais lui expliquer mes intentions… Ensuite, quand tu montres cette photo à cette personne, tu peux être quasi certain qu’elle ne va pas  toujours voir tes intentions et c’est exactement là, précisément, qu’entre en compte un des grands  challenges de la photographie, essayer que l’intention corresponde au résultat. […] »

« […] Sélectionner ses photos, c’est très compliqué, c’est pourquoi je reste convaincu que le photographe a besoin de beaucoup de critiques extérieures pour faire le bon choix. Toi par exemple, dans tes trois livres, tu as de très bonnes photos mais elles perdent de leurs forces à cause d’autres photos moins bonnes  et subitement la personne qui va regarder tes livres de photos va s’ennuyer alors même qu’il a devant lui certaines très bonnes photos. […] »

 » […] Toi, avec ton Web-documentaire, c’est autre chose. Tes photos sont très bonnes mais quand je regarde ta vidéo, il me manque une histoire, il me manque ton histoire. A certains moments, j’ai envie d’entendre des commentaires ou de voir des traductions de ce que je vois sur tes photos […] il me manque un point de vue. Tu dois être encore plus proche de ton sujet.[…] »

Qu’est-ce qu’une bonne photo ? 

« […] Je me souviens un jour, le photographe Josef Koudelka était à l’agence Magnum. Je l’aperçois en train de trier des photos pour un projet d’édition et il était très excité  et il me dit : « Une bonne photo, c’est toujours quelque chose de magique ! »

Et c’est très vrai ! C’est difficile de définir ce qu’est une bonne photo. On peut essayer de donner une définition comme : qu’est-ce qu’un bon cadre et une bonne composition… mais ça reste des données rationnelles qui justement font disparaître la magie. Pour tenter de faire une bonne photo, tu dois essayer d’atteindre cette grande notion abstraite qu’est la perfection mais aussi savoir saisir l’accident. […] »

« En photo, j’aime être surpris. J’aime me surprendre moi-même et surtout je déteste  la répétition.C’est pourquoi il faut se forcer à changer de format et aussi à chaque fois, j’essaye de trouver la bonne forme pour le bon sujet. C’est très important car c’est très stimulant pour le photographe lui-même car il ne se répète pas.  Après, je reste convaincu qu’on répète toujours la même chose en photographie, le même sujet, la même obsession mais nous changeons juste la forme […] »

« Trouver sa propre identité et que celle-ci ait du sens dans ses photos. »

« […] Il faut toujours avoir l’esprit qu’un autre photographe ne fera jamais la même photo que toi car personne n’a la même approche et la même relation avec les gens que tu auras pris en photo. Tu vis tes propres relations aux gens que tu photographies. Tu vis aussi tes propres expériences quand tu voyages.  Le point de vue est une des choses les plus importantes en photo car c’est ta position et  ton angle, c’est là où tu te trouves et la manière dont tu vois la réalité […] »

A réécouter : P. Zachmann dans l’Atelier des Médias interview par Philippe Couve 28/07/2009

A consulter le catalogue photo en ligne de Patrick Zachmann regroupant toutes ses photos de 1976 à aujourd’hui.

RWANDA. June 2000. © Patrick Zachmann/Magnum Photos
RWANDA. June 2000. © Patrick Zachmann/Magnum Photos

 


Je t’aime moi non plus!

Ce billet sur la relation franco-allemande n’aura rien d’objectif. Il ne sera alors que plus déraisonnable, car écrit sous mon empressement et mon agacement. Je lâche mes doigts sur le clavier et puisque la rumination n’est jamais bonne, j’ôte un à un les grains de sable coincés entre mes dents. Alors c’est vrai, j’habite une ville sans sable, mais bon, j’ai des dents et le vent souffle fort.

Actuellement, mon répondeur téléphonique berlinois dit : « Je suis absente de Berlin pour deux semaines, en cas d’urgence veuillez me contacter sur mon téléphone français ! »

Relation franco-allemande – Caricature de Plantu

Mes retours en terre française, spécialement dans la petite ville où j’ai grandi, ne sont pas très constants. Quand l’occasion se présente, j’en profite alors pour m’occuper comme je peux : médecin généraliste, oculiste, prise de sang… (un peu maso je sais, mais croyez-moi les jours sont longs dans une ville industrielle sinistrée !)

Hier après-midi, rendez-vous chez ma dentiste. La peur au ventre et la tremblante à la mâchoire, je m’allonge sur le fauteuil quand la chasseuse de caries « brut de décoffrage » me dit :

Elle : « Ca fait longtemps vous ! Vous êtes toujours en Allemagne? »

Moi : « Oui, toujours à Berlin ! » (Enfin concrètement une roulette et une main de dentiste dans la bouche, j’ai dit : « youuuui, gougiydrsrgchgiBrlllin »

Elle : « Et ça va? Parce qu’y a de l’eau dans le gaz, elle ne se laisse pas faire l’Angela Merkel! Ils aiment bien diriger les allemands n’est-ce pas? »

La roulette a continué à creuser quand le mot « diriger » m’a électrisé les gencives. J’ai fait les yeux ronds et bêtement, la bouche ouverte, j’ai baragouiné: « Ah bon ? »

Dentiste terminé, une carie soignée, besoin d’un petit remontant : 15h50 trop tôt pour une vodka mais jamais trop tard pour un gâteau. Petit détour à la boulangerie.

Moi : « Bonjour, un éclair au café s’il vous plait ! »

La boulangère : « Aaah, vous êtes de retour ?  Votre maman et votre papa me donnent souvent des nouvelles ! Alors comme ça vous êtes toujours en Allemagne ! » (Maudites soient les petites villes!)

Moi : « Oui, toujours à Berlin ! »

La boulangère : « Et ça va là-bas ?  Parce qu’elle ne rigole pas l’Angela !  C’est la guerre là comme on dirait ! Ahhahahahahaha ! »

Moi : « Vous croyez ? »

La boulangère : « Enfin vous devez être bien là-bas, ils ont de l’argent ! »

Juste le temps de répondre : « De l’argent, Ah bon ? », qu’un client à qui on n’a rien demandé (mais qui fait tout comme) me coupe et  s’exclame: « Ah la Merkellll ! Si ça continue, elle aussi, elle va finir par être épinglée sur le mur des cons! » Grosse poilade, rigolade et roulade…. Ah aha aha ahaha !

Deux lieux, trois raccourcis rapides: 1. Les allemands sont  toujours les Méchants !    2. La chancelière est une bip bip bip ! 3. De l’autre côté du Rhin, les euros coulent à flots !

Quand le résumé de l’actualité franco-allemande se rejoue entre le dentiste et la boulangerie, on cerne, sans s’y attendre, le moral d’une France, qui ne peut avoir que mauvaise mine,  quand ses maux mots s’enlisent dans une effronterie anti-Merkel et dans la  construction d’un mur des cons dans le local du Syndicat de la Magistrature de Paris.

Cet après-midi-là, mon goûter sucré de 16h a eu des difficultés à passer. Je me demande même s’il n’est pas resté coincé entre mon goitre et mon gosier.                 Les bras m’en tombent. Je quitte la boulangerie et je me dis que les minois français ne vont pas retrouver leur teint frais de poupons d’aussitôt, non pas à cause de leurs mauvaises cuites, mais pour cause de mauvais bouc-émissaires.

On hésite ?  Du côté du Parti Socialiste français on préconise un affrontement démocratique avec l’Allemagne. Un peu plus loin, le président de l’assemblée nationale parle plutôt de confrontation. Entre affrontement et confrontation mon cœur balance!

Allô quoi! T’es française et tu ne dis pas de mal de l’Allemagne ? Non mais Allô la colabo, quoi ! 

Comme souvent en France, tout est question de râlement, de ras-le-bol et de fierté.  Bref encore une histoire de French Touch qui touche un peu à tout et à n’importe quoi… Le choc culturel entre français et allemands  existe heureusement, je ne vais pas vous dire le contraire, je pratique  l’Allemagne sur le terrain depuis plus de 3 ans. Mais comme dit l’autre : « N’aime-t-on pas ses voisins autant qu’on les déteste ? »

L’Allemagne  n’est pas antipathique, elle a juste une ou deux pincées d’austérité en arrière-boutique.

La France n’est pas paresseuse, arrogante et dédaigneuse, elle est tellement perdue qu’elle ne peut s’empêcher de taper sur le premier de la classe.

Je peux comprendre la méfiance, le  manque de compromis, la jalousie qui cimentent la relation franco-allemande,  un folklore qu’on se refile de génération en  génération ; mais je grince des dents fort quand j’entends les hautes sphères politiques de mon pays dériver doucement vers une  germanophobie.

Depuis quelques semaines, côté allemand, on tempère ses commentaires, trop occuper peut-être à taire une ancienne affaire, nom de code Derrick.

Concrètement, les médias, les dentistes ou les boulangères allemandes évoquent et  relèvent quelques propos français sans s’y attarder. Mais quand l’occasion de tacler en douce est possible, en Allemagne aussi, on a l’art et la manière.

Football! Kaiser Franck: le 25 avril prochain,  la finale la Ligue des Champions sera 100% allemande.  Hier la presse allemande ironisait sur sa « suprématie » europenne footballistique : « Wir Gegen Uns » (« Nous contre Nous ») titrait le quotidien Berliner Kuriers.

Art! Faire des histoires sur l’Histoire, à travers l’art et son histoire. Depuis deux semaines,  de l’autre côté du Rhin, le sujet qui fait débat se déroule au Louvre. Depuis un mois, le musée consacre une grande exposition sur l’art allemand: « L’Allemagne de 1800-1939, de Friedrich à Beckmann. »

Les origines et la destinée de l’Allemagne seraient bel et bien remises à l’ordre du jour. Le chroniqueur Adam Soboczyski, dans le journal Die Zeit  du 4 avril, se demande si le Musée du Louvre ne chercherait pas à se venger d’une Allemagne actuellement dominante et forte, je cite : « Est-ce lié à la crise ? A une volonté française d’affirmation de soi ? A une démonstration de force nationale causée par la faiblesse économique ? »                                                                                                           

 

On ne peut que déplorer pareil malentendu! Pour une partie de la presse allemande, cette exposition est presque un affront national qui sous-entendrait que le nazisme et le nationalisme allemand seraient la conclusion logique de l’histoire et de la culture allemandes, et que celles-ci ne pouvaient qu’y sombrer.

Allons-nous droit dans le mur des cons? Sommes-nous trop crédules, naïfs ou désespérés? 2013 ne devait-elle pas être  l’année du 50ème  anniversaire du traité de l’Elysée soit de l’Amitié franco-allemande? Des deux côtés du Rhin, comme des cons, français et allemands nous avons organisé des fêtes. Comme des cons nous avons apporté le gâteau. Comme des cons nous avons  chanté et dansé. Comme des cons nous avons allumé vos bougies. Comme des cons on vous a regardé vous rencontrer et prôner l’entente franco-allemande.  Ah les cons !

Les allemands rêvent de transformer les européens en Allemands alors que les socialistes français s’entêtent à vouloir transformer les allemands en Français. Conclusion: Madame la Chancelière, Monsieur le Président, à vouloir tellement jouer à vous contrecarrer, vous allez finir par vous tirer une balle dans le pied…

Mon prochain billet sur la relation franco-allemande sera plus léger, il parlera d’une histoire de poubelles allemandes mais débutera par une phrase féerique :  « Il était une fois la saucisse et le Flamby. Ils se marièrent et eurent beaucoup de passions !  » (A suivre…)


A la poursuite du poulet bicyclette

Des obligations qui tombent – tombent souvent mal – c’est un peu la raison de vivre des désobligeantes obligations. Maudites soient-elles quand elles t’obligent à manquer la fête d’Adieux, de la formation Mondoblog de RFI qui réunissait pendant une semaine, 52 blogueurs francophones, dans la capitale Sénégalaise.

Samedi 13 Avril 2013, l’aventure dakaroise de Mondoblog se terminait un peu plus tôt pour Limoune, blogueuse tunisienne et moi-même. La cause : obligation d’être avant lundi, à Paris pour elle et  à Berlin pour moi. 

Dakar 2013 (Crédit Photo Aurore Guérin)
Dakar 2013 (Crédit Photo Aurore Guérin)

J’ai bien essayé de trouver une solution, repousser mon vol mais quand ça ne veut pas ça ne veut pas, mon obligation berlinoise est catégorique, lundi ou jamais ! J’ai bien eu envie de lui dire : « Eh toi, tu m’emmerdes,  je ne veux en faire qu’à ma tête, et que ma tête soit en fête samedi soir à Dakar ! » L’obligation ne l’a pas entendu de la même oreille, alors quand il faut partir il faut partir…

Il est 19h15, à l’Espace Thialy, point de ralliement pour tous bons Mondoblogueurs qui se respectent et qui respectent le riz aussi.

Dernier ADIEU, (non je veux dire dernier AU REVOIR) à celles et ceux  que Limoune et moi avons pu trouver dans leur chambre. La boucle est bouclée, les valises aussi et tout s’achève exactement là où tout avait commencé une semaine avant, par une histoire de chauffeur et d’aéroport.

Assises sur les bancs froids de la salle d’attente d’Air France, avec plus de 2h d’avance, un petit coup au cœur nous gagne. On sent l’intensité et l’exaltation de cette mondoblogueriesque aventure nous retomber sur les épaules.

Malgré la fatigue, nous ne dérogeons pas à la règle de tous les Mondoblogeurs à Dakar, nous ne sommes plus que deux, d’accord,  mais nous gardons le rythme et le cap : nous parlons, nous débriefons, nous rebriefons, nous racontons, nous nous accordons…  Bref, nous tentons de sauvegarder un souvenir intact de chacun des autres blogueurs, un à un, souvenir par souvenir … Et vous savez quoi, les mots justes ne viennent pas !

On dit souvent qu’il faut savoir digérer pour mieux assimiler, avoir de la distance sur les choses pour mieux les comprendre. J’y crois !  Mais pour le moment, je n’en ai pas envie, je suis encore dans l’intensité bouillonnante de cette rencontre furtive, j’y reste et j’y suis bien !

J’ai rêvé ?

Nous avons quitté le sol de Dakar depuis 30 minutes, les plateaux repas d’Air France arrivent au compte-gouttes. Au Menu : poulet riz et sauce curry OU poisson, haricots verts et purée, seuls les Mondoblogeurs devineront vers quel plat mon choix s’est porté!

L’hôtesse me tend mon repas et je souhaiterais presque encore entendre Raphaëlle, de l’équipe de RFI, nous crier : « Aller on y va, on doit manger à 19h30, allerrrrr on y vaaaaa ! » Merci mademoiselle !

Qui dit Raphaëlle dit Pierrick, le deuxième bras droit de l’incroyable Ziad Maalouf(Oui, Ziad a deux bras droits mais semble très bien le vivre !)

Pierrick disais-je,  un peu notre standardiste attitré et bien plus : « Si tu es perdu à Dakar, si tu ne retrouves plus ton binôme, si tu as besoin d’un chauffeur, si tu as oublié le lieu de rendez-vous, si tu as égaré ta casquette RFI, si tu as oublié le pourquoi du comment du pourquoi… Pierrick  reste à ton écoute 24h/24. Prix de la communication : amicale. » Merci jeune homme !

Alors Monsieur Maalouf  a deux bras droits et la web émission participative L’Atelier des Médias de RFI, a deux têtes, celle de Ziad et celle de Simon Decreuze.  À l’Agence Universitaire de la Francophonie de Dakar (AUF),où se tenait notre formation,  à 13h, Simon ne parle plus, n’enregistre plus, il marche vers notre restaurant universitaire. Simon marche l’estomac dans les baskets, il marche vite, il marche sans perche à micro, Simon a faim de riz, il me double et me dit: « Premier arrivé, premier servi! » Court Simon, court ! Merci !

Qui dit sons, dit images ! Qui dit Marthe, la web-documentariste qui nous accompagnait, entend, je la cite: « Moi, je vais prendre mon pied ! » Comment ??? Ah pied de caméra!    Marthe,  c’était un peu Huggy les bons tuyaux dakarois et on l’en remercie !

Les veilleuses dans l’avion s’éteignent, Limoune s’est assoupie profondément, j’en fais tout autant. Les yeux fermés mais l’inconscient en ébullition, les images, les phrases s’entrechoquent. Cette nuit-là, dans mes rêves en direct du ciel, certaines choses me sont revenues, je crois :

J’ai officiellement déclaré future commentatrice footballistique, l’enchanteresse blogueuse malienne Faty. Vivre assise à ses côtés la rencontre PSG- Barça est et restera un moment d’anthologie, tout simplement parce qu’elle coache le joueur Lionel Messi comme personne, interpelle David Beckham pour ce qu’il est : « Tiens, le Joli garçon ! » tout en offrant au match des commentaires pointus: « Tu fais quoi là, toi, y a main, y a doigts, y a pieds! » Faty : UN BONHEUR en Bazin!

Salma ou la déesse camerounaise au franc-parler.  Ça ne rigole pas avec Salma, ça poétise droit dans les yeux: « Oh Toi, tu ris comme une femme enceinte !» On relit et on réfléchit !

Des blogueurs de la saison 1, je m’embarque sans eau ni rames sur le flot de la verve aiguisée du togolais David Kpelly, soit mon chercheur d’ombre auto-attitré, soucieux d’adoucir ma brûlure nasale due à un soleil que je n’ai pas vu venir.   David, c’est du Molière à l’état Don Juan parce qu’ «  Un playboy mange beaucoup de biscuits ! » On relit et on réfléchit !

Toujours chez les grands-frères Saison 1,  je demande un souvenir du guinéen Alimou.  Il est l’un des Mondoblogueurs que je lis le plus régulièrement, alors le rencontrer en chair et en os, je ne vous raconte pas l’effet ! Un soir lors d’une discussion, j’ai bien failli lui demander un autographe ! Mondoblog a bouleversé sa vie, je dirais surtout que c’est grâce à son talent que les choses ont changé. Candidat cette année, pour le meilleur blog en français des Best of Blog (BOB’s) organisé par la Deutsche Welle en Allemagne.  On ne réfléchit pas, on vote !

Il est 2h 30, quelque part dans l’avion d’Air France,  quand mon voisin de gauche me réveille doucement, Monsieur veut aller faire pipi.  Deux minutes après, je replongeais dans les bras de Morphée.

Il y avait là Daye.un Guinéen à l’accent québécois. Mais aussi un québécois, un vrai, Nicolas, Samouraï de formation et dresseur de moustiques dakarois à ses heures perdues. Il y avait Serge aussi, un congolais vivant au Brésil, devenu depuis 8 mois, mon conseiller cinéma d’Amérique Latine. Il y avait  la belle Nora, une togolaise toujours très bien assortie à sa gentillesse, rien d’étonnant, vous dirais-je, quand on porte des souliers roses aussi jolis que les siens. La magie opère !

Il y avait un guinéen Mamady keita étudiant à Odessa, avec qui je me suis « Updatée » sur l’Ukraine, pays que j’ai bien connu, il y a 15 ans.  Dans mon rêve, il y avait aussi une Geek ou presque, Josiane de Doula  qui parlait des Hashtag de Twitter comme moi,  puisqu’elles les appellent les dièses…Que la princesse twitteuse, Danielle, nous pardonne!

Il y avait un malgache se prénommant Rijaniaina, ce qui signifie « droiture », si mes souvenirs sont bons. Et j’ai trouvé ça très beau.  Il y avait Boubacar de Bamako, pour qui les nuits dakaroises étaient bien trop fraîches. Il y a avait aussi les thématiques officieuses lancées par William de Yaoudé. Débat assuré dès le petit-déjeuner !

J’ai aussi joué à un jeu avec Stéphane, Mauricien expatrié à Madagascar : lui trouver un stylo rouge RFI avant la fin du séjour. Lundi, nous en avions tous reçu un,  sauf lui. Était-ce là précisément que se trouvait la faille dans cette organisation Mondoblog à Dakar ? Tintin, à la recherche du trésor de Rackham le rouge… Euh! Non, je voulais dire Stéphane à la recherche du stylo RFI rouge (pour comprendre aller lire son blog !) Bref, que tout le monde se rassure,  la quête a pris fin vendredi après-midi. Tout est rentré dans l’ordre.

Et puis, il y avait celui pour qui le talent de l’écrivain est inné et le restera.  Lors d’un atelier d’écriture, demandez à Florian de Yaoundé de vous écrire en 10 minutes un court texte sur le thème de la Liberté. C’est à vos risques et périls de vous retrouver embarquer dans une histoire de crottes de nez et de pets, comme on rêverait d’en entendre tous les jours.

Je me réveille. J’ai mal au cou et je voudrais étendre mes jambes de tout leur long. Il est 6h dans l’avion et encore 4h à ma montre. Je réalise qu’une journée va se terminer sans la bonne humeur et le sourire indécrochable de Gaïus, sans les récits mythiques sur Alexandrie de Pascaline et sans la gentillesse du dakarois Seydou avec qui j’ai parcouru les rues dakaroises dans un car-rapide jaune. Un rêve !

Et surtout je repense au Berliniquais, dans la salle Internet de l’espace Thialy. Lui et le Wifi, une histoire dakaroise tumultueuse mais chaude, certes il vit à Berlin mais Monsieur reste Martiniquais, s’il vous plait !

Parlons créole justement, une chose est certaine,  la française de métropole, que je suis, irait bien un jour voir la mer de Guadeloupe, car à entendre Axelle et Mylène, il parait qu’elle n’est pas bleue mais translucide.

Et puis, il y avait moi,  je cite  Florian : « Aurore: je n’ai pas arrêté de me demander si elle finirait la formation, tellement elle toussait, je me demandais si on allait pas vivre un épisode façon Docteur House. »

Je n’arrive plus à me rendormir. Je me demande bien comment était la fête du côté de Dakar. Il est 6h 10, on atterrit à l’aéroport Paris-Orly, j’ai peu de temps, je dois filer vite, prendre ma correspondance pour Berlin. Je fais mon dernier au revoir à Limoune dans la file des toilettes de l’aéroport.

La dernière personne qui me rattache encore à cette histoire dakaroise est maintenant derrière moi. Ma bronchite berlinoise sera bientôt de retour au pays, la maudite ! Je file vite dans les allées de l’aéroport ; j’ai déjà peur de perdre des souvenirs en route,  je trotte, je trottine, je pédale vite dans les couloirs aériens comme un gringalet, maigrichon, poussiéreux mais délicieux volatile, qu’on mange au Sénégal : le vrai, l’unique, je veux parler du poulet bicyclette.

Pour tous ceux que je n’ai pas cités mais que je n’ai pas oubliés ,la liste complète des Mondoblogueurs à Dakar ainsi que le lien à leur blog se trouve ici.

MERCI !

 

 


Romeo casse la baraque !

Photo: Arno Declair, 2013

ANNONCE : Que le public arrive vierge de tout, au sujet de cette CHOSE SCÉNIQUE ! L’esprit décapé de toutes informations au sujet de la CHOSE comme je l’étais pour la Première, le 17 mars 2013, à Berlin, dans le cadre du festival F.I.N.D (Festival International de la Nouvelle Dramaturgie).

Pas de panique, gardez votre calme !   Ceci n’est qu’une Critique de théâtre.

Celles et ceux qui par hasard tomberaient sur ce billet, et qui en plus auraient pour projet d’assister en avril et en mai à la dernière création du metteur en scène Italien Romeo Castellucci, Hyperon. Briefe eines Terroristenen (Hypérion, lettre d’un terroriste) au théâtre  Schaubühne de Berlin, si une coïncidence  telle  arrive (Je peux rêver !),  la lecture de ce  billet s’arrête ici-même. Pour les autres, la lecture continue…

J’entame donc ici mon 3ème article sur ce metteur en scène italien. « ENCORE ! » diront certains, « JE N’Y PEUX RIEN ! » leur répondrais-je.  Tomber dans l’univers théâtral de Castellucci et de sa compagnie Socìetas Raffaello Sanzio, c’est comme tomber dans un puits sans fond, on cherche à apprendre beaucoup sur sa chute puisqu’on sait qu’on ne remontera jamais.

Basé sur le roman épistolaire Hyperion oder Eremit in Griechenland (Hypérion ou l’ermite en Grèce) du poète romantique allemand Friedrich Hölderlin (1770- 1843), Hyperon. Briefe eines Terroristenen est la première collaboration de Romeo Castellucci avec un ensemble théâtral allemand. Le lieu est allemand, les acteurs sont allemands, la langue est allemande, … (Ja Wohl ! Meine Damen und Herren !) Mais les sous-titres sont en anglais!

Du titre original de cette œuvre poétique en prose, le metteur en scène substitue le mot « Ermite » et le remplace par celui de « Terroriste », l’intention castellucienne est lancée. Le spectacle peut commencer.

Le fardeau des idéalistes déçus

Hypérion personnage grec, rêvé par Hölderlin, incarne la   figure même de l’homme vouant à sa patrie une attention belle, ardente et humaniste. Malgré cet engouement sans fin, comme tout idéaliste, Hypérion  se confrontera brutalement à la réalité humaine, avec tout ce qu’elle comporte de discipline, de soumission, de servilité, de trahison et d’horreur.    De la Grèce Antique dévitalisée d’Hypérion, le lyrisme tranchant d’Hölderlin glisse alors  vers une critique  sévère et féroce pour son propre pays, l’Allemagne du XIXème.  
Le constat humaniste est déstabilisant à lire et à entendre mais le poète est grand et donne à sa prose le pouvoir d’un écho juste, qui raisonne encore aujourd’hui, ici, là-bas et partout. Extrait: […]« Je t’assure, mon ami, il n’y a rien de sacré que ce peuple ne profane et ne dégrade dans des vues intéressées. Ces barbares poussent la cupidité au point de faire métier et marchandise de ce que les sauvages mêmes ne dégraderaient pas, et ils n’en peuvent rien ; car partout où l’homme est dressé, il reste dans l’ornière, il ne cherche que son intérêt et n’est plus susceptible d’enthousiasme. Le plaisir, l’amour, la prière, la grande fête expiatoire qui lave les péchés, les doux rayons du soleil qui enchantent le captif et adoucissent le fiel du misanthrope, le papillon qui sort de sa prison, l’abeille qui butine, rien ne fait sortir l’Allemand de son assiette ordinaire, il ne lève pas même la tête pour voir le temps qu’il fait. » 

La mise en scène quant à elle, magnifie ce qu’elle est, une simple représentation. Aucune temporalité n’est fixe, aucun lieu n’est préétabli.  Le metteur en scène prend volontairement soin d’expulser toutes références à des Révolutions historiques ou contemporaines. La critique radicale de la réalité est à prendre ici-même dans son ensemble.

Foto: Arno Declair, 2013

Ce jour-là, à la Première, il était 20h et nous entrâmes là,  dans la salle.

Tohubohu habituel pour trouver son siège. Rapide courtoisie avec mon voisin de gauche (Guten Abend !) et de droite (Guten Abend !). Pas le temps de discuter, noir dans la salle. Le rideau se lève sur l’intérieur d’une maison moderne: cuisine, chambre, salon, salle à manger, tout est structurellement si bien agencé qu’on ne voit en rien les traces d’un quelconque décor théâtral.

Très furtivement, de dos, un homme enfile son cardigan, empoigne sa sacoche  éteint les lumières et quitte le domicile. Le vrombissement moteur d’une Ferrari cabriolet nous bourdonne dans les oreilles, puis silence. Pendant 10 minutes, rien que du décor et du silence. L’attention se porte alors sur l’ameublement et la décoration de cette maison ouverte sur scène. Les armoires sont rangées, le frigo est plein et les fleurs coupées sont belles. Côté public, le temps devient long.

POLIZEI ! Du fond de ce décor, déboule une armée d’une vingtaine de vrais policiers moulés dans leur panoplie d’intervention: casques, masques, armes, chiens. POLIZEI ! Ça hurle de tout côté, des fumigènes roulent à terre, de la fumée, un brouhaha ininterrompu. Après 10 minutes, d’un saccage sans nom sur scène, cette maison n’est plus qu’un amas de meubles explosés, éventrés…

On nous fait savoir qu « IL N ‘ Y A PLUS RIEN A VOIR! ». Les policiers armés de mégaphones envahissent les rangs du public. Ils nous hurlent de partir,  RAUS ! RAUS ! RAUS !  Dans la salle, personne n’ose bouger, nos sentiments internes s’entrechoquent. Les agents de l’ordre sont verbalement et physiquement insistants ; comme tout le monde, je reprends donc mon sac à main, mon manteau et me dirige vers la sortie.        Et c’est là que la prose de Friedrich Hölderlin pris un souffle inattendu sous la baguette contemporaine d’un Castellucci maître de sa création.

Ne sommes-nous pas tout simplement en train de jouer nous-même ?

Dans les couloirs du théâtre, l’agacement et l’incompréhension se font entendre. On ne veut pas croire que cette représentation n’était que cette CHOSE brutalement insensée et en même temps pourquoi pas ? C’est la confusion ! Certains  sur le départ remettent leurs manteaux, d’autres vont fumer une cigarette ou boire un verre.  Et puis, on commence à échanger son avis sur la CHOSE, les opinions divergent, mais personne ne part; nous connaissons la règle théâtrale : je sais bien que ceci n’est pas réel, mais j’y crois comme si ça l’était.

Après 20 minutes d’attente, un air de déjà-vu.

Foto: Arno Declair, 2013

Nous regagnons la salle et nos sièges. De nouveau une rapide courtoisie avec mon voisin de gauche (Sourire) et de droite (Sourire). Sur scène,  le chaos a laissé place à un univers doux, épuré et frais. Une chienne aveugle nous fait face pendant plus de 5 minutes. On la regarde, elle nous entend, nous sent. Étrangement, l’instant est  si singulier qu’il en devient BEAU. Une fillette rentrant de l’école, monte alors sur scène. Elle troque mécaniquement son cartable pour une couronne de lauriers dorée, prend la pose et récite.

Trois autres étranges créatures féminines la suivront : une jeune fille, une femme plus âgée, et une créature nymphée, chacune prendra le relais d’un texte d’une prose désarçonnante . La grâce des corps est comme suspendue, les gestes comme pétris dans  l’argile d’une scénographie  efficace  et saisissante. La représentation se poursuit pendant près de 1h15, l’ancrage est total.

Paradoxe de « l’irrépétable » : L’œuvre est le lieu d’une tension.

Depuis le Festival d’Avignon, en 2008, avec sa mise en scène de La Divine Comédie de Dante,  Romeo Castellucci confirme son attachement esthétique, théologique et sensitif pour le désordre. Sa théorie du chaos reste théâtrale, et performative. Le réel se joue chez lui par une suite d’événements contingents, fractionnés et authentiques.

Avec Hyperon. Briefe eines Terroristenen,  comme à son habitude, le metteur en scène italien ne trie pas, ne mesure pas, ne délimite pas, il ne se cantonne jamais au juste équilibre, à la recherche de l’harmonie dans sa globalité. Sur scène, il sait monter et démonter, il sait montrer et démontrer, à la fois le Règlement et le Dérèglement, la Norme et l’Anormal, le Classique et le Contemporain, le Beau et la Laideur, le Fait  et la Généralité, le Chronique et l’Anachronique ; il ne fait table rase de rien et  table pleine de tous les possibles, le tout en confiant à son spectateur l’action la plus précieuse qu’on puisse lui donner, celle de la Réflexion. 

Ô Romeo Pourquoi es-tu Romeo?
Mac Do ou Macbeth ?

A lire en format PDF: Hyperion oder Eremit in Griechenland 

Théâtre Schaubühne de Berlin.
Hyperon. Briefe eines Terroristenenles de Romeo Castellucci, d’après Friedrich Hölderlin, sous-titré en anglais.
  • 24 – 25 Avril 2013 à 20h
  • 07 – 08 Mai 2013 à 20h
  • 09 Mai 2013 à 19h30

    Foto: Arno Declair, 2013

 

 


Bonne nuit les petits

298, 299, 300 moutons, cette nuit-là, j’ai compté tout le troupeau.

1h37. Mes paupières sont lourdes, de plus en plus lourdes, tellement lourdes. Je respire profondément. Je suis bien, calme et sereine. Mes yeux se ferment lentement, lourdement et complètement. Il fait doux et chaud. Je pense à  Nounours et je me sens tellement bien! Je dors, je dors, je dors…NON DE DIEU! JE VEUX DORMIR !

Je n’ai jamais cru à l’automédication et je crois encore moins à l’auto-hypnose. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. On dit que rien ne sert d’insister avec le sommeil, c’est lui qui décide quand il vient ;  une chose est sûre, cette nuit-là il n’est jamais venu.

1h50. Dans l’appartement, la lumière est celle d’une nuit américaine (1). Pourtant, il ne fait pas jour, il fait nuit et il fait noir. Je la reconnais entre mille, la maudite, elle me taraude les nerfs, ma fidèle, ma douce. Insomnie quand tu me tiens !

Mon lit me jette à terre. Mes chaussons retrouvent mes pieds. Une bougie plantée dans le goulot d’une bouteille de Bordeaux brûle.  Le pyjama dépareillé est sur mon dos quand l’horloge de la cuisine affiche 1h55, heure berlinoise. Nerveusement, j’alterne des allers-retours entre la chambre et le salon.  Le plus dur est d’accepter que cette nuit les rêves ne viendront pas. La déception est grande mais pas insurmontable. Prendre le taureau par les cornes! Les choses sérieuses peuvent commencer, le marchand de sable ne viendra plus, très bien alors veuillez ne pas m’interrompre. La nuit  risque d’être longue.

2h10. La tête collée à la fenêtre sur cour, j’inspecte les quatre coins de mon immeuble rectangulaire. Autant dire tout de suite, que dans ces lieux-là, le vis-à-vis n’est plus une contrainte, c’est tout un art. Toutes les lumières sont éteintes chez mes innombrables voisins… Doux sont les bras de Morphée pour ceux qui peuvent les trouver.

2h15. J’allume la radio. Enfin, je connecte l’Internet de mon ordinateur à la radio, c’est plus juste de dire ça, tant qu’à ne pas dormir autant être précis. Je connecte, disais-je…  J’ai bien un transistor vintage Est-allemand  dans ma cuisine, mais depuis quelques mois, la fréquence 97.6 FM de RFI Berlin ne rentre plus dedans, il semblerait que l’onde se soit égarée quelque part entre le siphon de l’évier et le grille-pain.

J’en profite pour lancer un appel aux technico-informaticiens de RFI Mondoblog, si l’un de vous a, à tout hasard, un moment,  pour réorienter correctement votre onde radiophonique en direction de ma cuisine berlinoise, je lui en serais gré infiniment et matinalement. Que voulez-vous que je vous dise, mon petit déjeuner passe toujours mieux quand, entre trois tartines et deux cafés, parvient à mes oreilles, le doux son francophone de ma radio : « Bip bip bip doupdoup doup doup doup, merci d’écouter RFI, il est 7h à Paris, 6h en temps universel… ». Très importante, l’heure universelle !

2h25. J’oublie RFI mais reste dans la famille. Je me connecte  à France Info, où la programmation musicale de la nuit a toujours un je ne sais quoi de plaisamment anachronique qui m’émeut. Christophe chante Les paradis perdus. Par association d’idée nocturne, Christophe me fit penser aux Paradis Artificiels de Baudelaire ; le lien n’est pas si déplaisant, et même plutôt logique, j’y reviendrai à la fin de ce billet.

2h30. Le soleil se couche ici mais se lève ailleurs. Sur Facebook, mes amis du jour éteignent leur point vert. Il est temps de retrouver  mes amis de la nuit : Québécois, Australiens, Martiniquais,  Indonésiens, Mexicains, Brésiliens… Chers amis, contente de vous dire BONJOUR!

A 2h40, j’ai eu envie de faire un truc de fille insomniaque, comme me limer les ongles et me mettre du vernis Dior.  Sauf que je n’ai ni l’un ni l’autre, ce qui est cohérent et rationnel vue mon problème d’onychophagie  soit se ronger les ongles. La nuit tout est permis, je recherche donc via Google les syndromes psychologiques d’une telle manie. . « Rappelons que jusqu’après la deuxième guerre mondiale, la tradition médicale voyait dans l’onychophagie un signe de perversité […] »  Mauvaise idée,  changeons d’activité,  l’ambiance nocturne est en train de m’échapper.

Entre 2h45 et 3h45, dans mes hauts-parleurs, Richter jouait Rachmaninov. J’ai supprimé mes SMS, j’ai rangé par auteurs les livres de la bibliothèque, j’ai donné un dossier et un nom à tous mes fichiers musicaux orphelins sur ITunes, j’ai trié les journaux et  j’ai jeté les tickets de transports et de théâtres qui n’attendaient plus rien sur ma table basse.  J’ai aussi remis à jour mon CV français, mon CV allemand et mon CV anglais, avec en tête ce leitmotiv de mes parents : « Dans les années 70, à peine avions-nous terminé nos études, qu’un boulot nous attendait déjà  à la sortie ! » Je crois rêver !

3h46. Je me suis mis en tête de décongeler et nettoyer le réfrigérateur. Pourquoi les insomnies me confortent-elles toujours dans l’idée de faire ce qu’en temps normal, je n’ai jamais le temps de faire? A peine à 0°C depuis vingt minutes que la glace se mit à fondre au goutte-à-goutte, puis en filet d’eau jusqu’à couler le long du bac à légumes;  mais ça je ne le sais pas encore, il faudra attendre 4h30.

3h50. Après l’effort, le réconfort. L’appétit de Gargantua est passé dans ma nuit. J’ai  donc cassé la croûte comme disait mon grand-père paternel, un morceau de fromage français, du jambon italien sur du pain complet allemand, mine de rien ne pas dormir ouvre l’appétit.

3h55. Je me suis préparée une tasse de thé, que j’ai oubliée de boire! Du coup, je me dis que j’irais bien acheter une bière.  Aller hop ! Mon sang n’a fait qu’un tour,  bonnet de laine sur la tête,  bottes fourrées aux pieds, une minute chrono et me voilà dans l’épicerie de nuit en bas de chez moi.

Le regard absorbé dans son poste de télévision accroché dans le coin droit de la pièce,  Fatih est accoudé à la caisse, (Oui! Je connais le prénom de mon épicier turc, pourquoi pas ?)  Je paye ma Schöfferhofer, la bière qui, comme le vente cette publicité allemande, incarne, pour un allemand amoureux, le goût et le souvenir de sa fiancée française. Il est 4h, quand je lève la tête en direction de la télévision de Fatih :

Fatih : ça s’appelle Gümüs, tu connais ?

Moi : Non. C’est un feuilleton turc ?

Fatih : Was ? Tu connais pas ! Donnes,  jtouvre ta bière !

Il y a des moments dans la vie où on ne cherche plus à avoir le choix. Ma bière fut décapsulée à la berlinoise, c’est-à-dire en un coup de briquet et le récit nocturne commença :

Fatih : Alors eux là c’est la famille de Gümüs et les autres c’est la famille de Mehmet. Après la mort de sa copine, Mehmet, lui là, le beau gosse,   il a fait une dépression, alors son grand-père qui est très malade mais personne le sait encore, il a voulu  marier son petit-fils Mehmet, avec Gümüs, une fille de la campagne que Mehmet en fait, il a toujours aimé depuis l’enfance, et ça va être le bordel dans les familles, tu vois, ça va pas être simple, tu vois…

A 4h20, d’un point de vue externe, je me suis vue dans cette épicerie, en pyjama, une bière à la main, en train d’écouter mon épicier turc me raconter une Telenovela made in Turquie ou quand Dallas se mélange à Plus belle la vie. Et j’ai trouvé ça presque normal.

4h 25. De retour chez moi, pas le temps de renfiler mes chaussons. Les oreilles interpellées par le manque sonore de la goutte d’eau qui goutte et les chaussettes mouillées, j’entre les deux pieds dans un cauchemar éveillé… La décongélation du frigo a débordé. Une mare aux canards sur le sol de la cuisine. Non de Dieu! On ne trouve jamais les serpillières quand on a besoin d’elles ! Tous les torchons devraient suffire…  Je ne sais pas ce qui m’est passé par la tête,  me suis-je crue pour une nuit l’une de ces magiciennes de la vie pour qui tout est facile.

5h. Je penche ma tête dans  un puits sans fin, soit regarder des vidéos sur Youtube. Décidément  elle me plaît de moins en moins cette insomnie.

5h30. Première lumière dans la cuisine du voisin d’en face. L’homme sans pantalon qui me sert de voisin offre à ma vie sa part quotidienne de surréalisme. J’ai mystifié mon voisin d’en face, lui dont l’usage du rideau et du pantalon  semble être des us et coutumes dépourvus de toute convenance. Mon voisin bedonnant a les cuisses rosées, les mollets ronds et des fesses débordantes sur slip taille trop basse. Sa lune n’a plus de secret pour moi. Qu’importe, si je n’ai jamais vu mon voisin d’en face avec un pantalon,  cette fin de nuit-là,  je l’ai vu se réveiller tôt.

6h. J’ai senti que l’insomnie se terminait enfin. J’ai soufflé sur la bougie. J’ai réglé mon réveil à 7h30. Mes chaussons ont quitté mes pieds et Baudelaire écrivait: « Cet état dura longtemps, fort longtemps. Dura-t-il jusqu’au matin? Je l’ignore. Je vis tout d’un coup le soleil matinal installé dans ma chambre; j’éprouvai un vif étonnement, et malgré tous les efforts de mémoire que j’ai pu faire, il m’a été impossible de savoir si j’avais dormi ou si j’avais subi patiemment une insomnie délicieuse. Tout à l’heure, c’était la nuit, et maintenant le jour! » Extrait Les Paradis Artificiels, 1860. 
(1) ou Day for Night.  Technique de prise de vues cinématographique consistant à tourner de jour une scène d’extérieur censée se dérouler la nuit.
 


Killed News

Dicton : «  Quand février prend un jour, souvent de catastrophes il est lourd. »

Février s’accorde des largesses, j’en ai toujours été convaincue. Le seul mois de l’année qui ne se termine pas par le jour 30 ou 31, celui qui, aux années non-bissextiles, prive  de leur anniversaire, celles et ceux nés un 29 février, ne doit pas foncièrement être un mois si innocent ! Il faut toujours se méfier des mois courts, ils ont tendance à passer plus vite. Cette année, j’ai su prendre mes précautions, mon mois de février, je l’ai organisé, histoire de ne rien manquer ou quand l’actualité m’a permis de rester dans les clous ; depuis deux semaines, je tiens le coup. 

Vendredi 1e février 2013. Question que tout le monde se pose : « 28 ou 29 ? »

Réponse donnée à tout le monde : « 28 ! 2013 est une année non-bissextile ! »       Mais qu’en est-il de la seconde question que tout le monde n’a pas osé se poser : « Bissextile, bissextile … Est-ce que j’ai une gueule de bissextile ? ça veut dire ? »  

J’ai senti que l’explication majeure allait inclure de l’arithmétique, j’ai donc immédiatement opté pour un éclaircissement bête et méchant ou quand Wikipédia est encore intervenu. Puni est celui qui use du chemin intellectuel le plus facile !  J’ai lu la définition de Wiki et pour la première fois de ma vie, je l’ai trouvée bien complexe. Flashback au cœur même de mes années collège, le regard fusillant de Mademoiselle L., professeur de mathématiques, dans mon dos, le crayon rouge aiguisé,  je l’entendrais presque  me dire: « MaDemoiZelle, BIS-SEX-TILE, nous n’allons pas y passer la nuit ? »  

Wikipédia dit: « Depuis l’ajustement du calendrier grégorien, sont bissextiles les années :

  • soit divisibles par 4 mais non divisibles par 100 ;
  • soit divisibles par 400.
  • Donc, inversement, ne sont pas bissextiles les années : soit non divisibles par 4 ; soit divisibles par 100, mais pas par 400.

Ainsi, 2013 n’est pas bissextile. L’an 2008 était bissextile suivant la première règle. L’an 1900 n’était pas bissextile, car divisible par 100, ce qui est contraire à la première règle (ou exclusif), et non divisible par 400, ce qui confirme la seconde. L’an 2000 était bissextile car divisible par 400. » Je n’ai rien compris mais j’ai beaucoup ri à essayer ! 

Samedi 2 février 2013. Une histoire de points cardinaux !                          

Au Nord, Poutine festoie. La Russie commémorait le 70e anniversaire de la victoire obtenue lors de la bataille de Stalingrad le même jour en 1943.

À  l’Est, le peuple prie les pieds dans l’eau. À Phnom Penh, on rend hommage à l’âme de l’ancien Roi du Cambodge, Norodom Sihanouk,  mort le 15 novembre dernier,  la cérémonie funéraire selon les rituels bouddhistes qui aura duré 3 mois, touche à sa fin. Pendant ce temps, en Australie, d’importantes inondations frappent l’Etat du Queensland.

À  l’Ouest, il n’y a pas assez de bonnets d’ânes. Une soixantaine d’étudiants de la prestigieuse université américaine de Harvard ont été temporairement exclus pour avoir participé à une vaste organisation de tricherie à des examens.

Au Sud, mais alors si l’âne brait qui blatère? Son excellence François Hollande et son chameau « président » en terre malienne. Sur place, à quelques accolades de là,  la larme vint à l’œil du ministre des Affaires d’étrangères Laurent Fabius ; plus loin au camp d’Ambra, à la frontière Mauritanienne, on raconte qu’un commerçant ou un agriculteur (l’incertitude de la rumeur commence ici-même), pleure le chameau qui lui aurait été volé, après l’attaque de la ville  de Tombouctou par les forces françaises et maliennes…Tiens tiens, suivez mon regard !

L’information est peu relayée côté français, tout le plaisir de cette légende est laissé aux médias anglo-saxons : un article du site anglais  London Evening Standard, titre le 6 février: « Mali refugee gets the hump over François Hollande’s stolen camel. » Quoiqu’il en soit, l’Elysée a décidé de ne pas rapatrier la bête en France, non pas pour des raisons illégales mais climatiques. Ah bon ! 

Dimanche 3 fécrier 2013. Beyonce a chanté pour de vrai… Et accessoirement Baltimore a remporté la Superbowl, la grande finale de la ligue de football américain en battant l’équipe de San Francisco 34 à 31!

Mardi 5 février 2013. Richard III avait donc obtenu son permis de conduire ? Le squelette déterré en septembre 2012, sous un parking de Leicester, en Angleterre, est bien celui du roi Richard III. Cinq siècles plus tard, les anglais ont donc retrouvé, sans son cheval, le roi Richard de Sir William Shakespeare : « […] A horse ! A horse! My kingdom for a horse! […] »

Mercredi 6 février 2013. Au prochain match Angela, c’est moi qui apporte les bières ! Le 21 janvier dernier, lors des commémorations des 50 ans du Traité de l’Elysée, la chancelière allemande Angela Merkel avait convié le président français et son gouvernement à un concert de musique classique au prestigieux Berliner PhilharmonieNe pas toujours attendre le deuxième rendez-vous ! Trois semaines plus tard, François Hollande renouvelle la démarche et invite farouchement  son Angie au Stade de France  à Paris, pour la rencontre footballistique France – Allemagne. Comme quoi, n’est pas toujours  romantique celui qui dit qui est !

Jeudi 7 février 2013. Le cheval de Richard III a été retrouvé dans nos plats surgelés. Je ne suis jamais montée sur un cheval mais j’ai appris que j’en ai peut-être mangé.
Pas vu pas pris ! Suite à des analyses alimentaires, on relève la forte présence de viande chevaline dans des lasagnes surgelées de marque Findus.

Panique générale et faute à personne ! La tête dans son assiette, ça sent comme qui dirait une affaire qui n’a pas fini de tourner au vinaigre dans les foyers. À défaut d’avoir la tête des responsables, on va vite nous indiquer comment faire sa propre sauce de l’histoire et comment culpabiliser en toute beauté:

« La barquette surgelée, ma Ptite Dame, si elle contient du cheval, ce n’est pas notre faute ! Parce que si vous la mettez au four,  c’est à cause de  la crise, de votre manque de temps  et d’argent ,  de la perte des petits commerces de votre quartier, de la baisse du pouvoir d’achat, de votre chômage, de vos enfants, de l’éducation nationale, de la grève des fonctionnaires, de vos impôts, des horaires de la crèche, du mariage pour tous,  de pôle emploi, de votre voiture chez le garagiste, de votre divorce,  de votre mère à l’hôpital, de votre prêt à la banque… »

Je donne une semaine à TF1 et plus particulièrement à sa vedette du Journal Télévisé, Jean-Pierre Pernaut, pour nous rapprendre le « Comment bien acheter pour Comment bien manger ?!?! »  Formidable !!! 

Week-end. Un trop plein d’actualités orphelines se sont entrechoquées. 

Vendredi, La Fayette, me voilà ! Je me demande comment j’ai pu atteindre le paroxysme d’une telle incongruité : soit être invitée aux Galeries Lafayette de Berlin, pour une soirée Saint Valentin, thématique « Las Vegas », une semaine avant le jour de la Saint Valentin, à boire du champagne rose fluo, au côté de  pâles sosies de Tom Jones et d’Elvis Presley… Plutôt bon signe, j’arrive encore à me surprendre, moi dont le boycotte annuel de l’insensée fête des amoureux est devenu un art de vivre…Conclusion,  le lendemain, j’ai été malade de désamour ! Maudite sois-tu gueule de bois quand tu me tiens !

Dimanche. Jour du Seigneur, lire MondoblogJ’ai remis à jour mon retard de lecture de billets ! Une mention spéciale pour le blogueur togolais  Aphtal CISSE dont tous les récits sont infiniment et subtilement grinçants et gracieux.

À mon grand et bon plaisir aussi, le blogueur montréalais Nicolas Dagenais faisait son  retour, je lus son dernier billet quand soudain, dans ses lignes, deux choses bousculèrent mes pensées et ne m’ont pas quittée de la journée :

  • Premièrement, il me remit en bouche le goût abondamment sucré des Têtes de nègres de mon enfance, rebaptisées  Whippets au Canada et Boules de suifs en France
  • Deuxièmement, il me fit repenser que je n’avais encore jamais regardé le film « Kill Bill » de Quentin Tarantino.

Je rectifiais donc ces deux choses dans le désordre et en un jour.

  • Deuxièmement  sortir la tête de mes classiques dominicaux  Godard, Eustache, Truffaut, Roy Andersson…« Kill Bill »1 et 2 vus !
  • Premièrement me renseigner rapidement sur ces gâteaux ayant une appellation douteuse : Les Boules de suifs, Les Boules de Berlin, Les pets-de-nonne, Les couilles du Pape. Fait !

Lundi 11 Février 2013. Pas le temps d’y penser, le Vatican est à la recherche de sa Nouvelle Star ! Benoit XVI démissionne et le soir même la foudre s’abat sur le Vatican. Mon Dieu, aucun lien, j’espère, avec le gâteau que j’ai cité précédemment !

Mardi 12 Février 2013. Notons que le Mali ne fait plus la Une, c’est quelquefois moins contraignant de faire comme si tout était terminé ! Mais malheureusement comme dit l’autre : « Quand y en a plus y en a encore ! »,  la Révolution en Tunisie  continue ; certains disent que ça sent le Jasmin, moi je dirais que ça sent encore la censure. 

En Navette tous et toutes ! Direction le Sénat ! En France, légalement, ENFIN, toutes et tous peuvent se dire OUI ! L’assemblée nationale adopte le mariage pour tous.  Mais de quoi allons nous parler maintenant? 

Allez, je tiens bon, plus que quinze jours en février et je pourrais enfin souffler !

 

 


Broken News…

 

Il y a des semaines qui se suivent et qui ne se ressemblent pas.  Il y a des semaines où la stratosphère tourne de travers. Il y a des semaines construites autour d’une actualité micro-climatique qu’on enferme avec soi, pour en faire n’importe quoi. Des semaines où on ne sait plus donner de l’ordre aux événements,  aux phrases dites, aux images vues, aux mots entendus. Il y a des semaines donc où on se laisse aller à la cadence d’une actualité patchwork, une cuillerée de vie d’ici et une pincée de vie de là-bas. Bref, il y a des semaines où malencontreusement tout fout le camp.

Voici venu le moment  du recensement, purger sa tête des restes, se vider de ses idées stagnantes.

Mes pieds à Berlin, ma tête quelque part : l’actualité est là, avec un je ne sais quoi qui donnerait presque de la désinvolture à tout ça.

Mardi 15 janvier 2013. Opération Serval, 5ème jour d’intervention de l’Armée française au Mali. Même jour, Berlin, Opération Fashion Week, 1er jour d’intervention des blogueuses mode influentes.

D’un côté, on avance camouflé de Mopti à Gossi, de l’autre côté,  sous -9C°, on s’expose sur les trottoirs berlinois enneigés : les pantalons sont tenacement trop courts sur bottines   trop basses, la peau des chevilles frissonnent, les chaussures claquent du haut talon et les odeurs cuirs des sacs à main, pures marques, embaument  le métro. Rien d’autre que du visionnage de tissus en tout genre,  sur mannequins grands corps affamés mais tenaces. A la même heure, sur grands corps maliens terrifiés, défilent châtiments et atrocités.

Mercredi 16 janvier  2013. Les soldats français des forces spéciales et combattants islamistes sont  à Diabali, à 400 km au nord de Bamako. Au même instant, des centaines de travailleurs algériens et des dizaines d’étrangers ont été pris en otages par un groupe islamique sur le site d’In Aménas, dans le centre-est de l’Algérie.

À Berlin, la mode défile encore. Accoudée au bar,  une coupe Veuve Clicquot en main, autour de moi des « Modeux » me parlent fibres cachemires moi qui suis restée à l’échelon polyester-polyamide. On me dit :

_Touchez-moi ça, c’est de l’Argentine !

_Comment ?

_Mon cachemire ! C’est de la chèvre d’Argentine, donc bien mieux que le cachemire d’Inde  , tu comprends !

_Non, je ne comprends pas!

Le premier jour, j’y ai mis beaucoup de volonté, le deuxième jour, j’ai compris qu’intervenir  sur un territoire inconnu, au Mali ou à Berlin, comportait des risques. On ne m’y reprendra pas deux fois.

Vendredi 18 janvier 2013. Alors qu’il est toujours très difficile de connaître exactement à In Aménas le sort des otages, ainsi que celui de leurs ravisseurs,  au cinéma berlinois Babylon, débute une rétrospective Nouvelle Vague.

Côté Fashion Week « Modisch », made in Berlin, tout le monde dégage, il n’y a plus rien à voir ! C’est enfin fini; conclusion: j’en ai assez vu et j’ai beaucoup bu.

La mode Printemps-Eté 2013 à Berlin, exigera beaucoup de sacrifices :

            • La sandale tortue Ninja.
            • Les caches-oreilles, écouteurs d’IPod façon oursins pour grosse ambiance méditerranéenne.
            • L’indispensable tee-Shirt imprimé Pussy Riot, mon coup de cœur, un peu de mode et beaucoup d’actualité.
  1. Fashion Week Berlin 2013PREMIUM YOUNG DESIGNERS AWARD Tom Van Der Borghtet Buddhidt Punk House of Gods

Dimanche 20 Janvier 2013.  Hitler s’invite en France à la grande Manifestation contre le Mariage pour tous ! Xavier Bongibault, porte-parole de la « Manif pour tous » s’y perd et déclare face caméra, je cite: « On nous explique en permanence que tous les homosexuels sont pour ce projet de loi parce qu’ils sont homosexuels. C’est une logique choquante et homophobe de la part de ce gouvernement. Dire que tous les homos ont pour seul instinct sexuel leur orientation sexuelle, c’est la ligne qui était défendue par un homme que l’Allemagne a bien connu à partir de 1933 et c’est la ligne que François Hollande défend aujourd’hui

Si l’insensé a librement droit de cité, une réponse à l’insensé a donc impunément droit de s’écrire, plaisamment je me dévoue   :  « Le temps ne fait rien à l´affaire / Quand on est con, on est con / Qu´on ait vingt ans, qu´on soit grand-père / Quand on est con, on est con / Entre vous, plus de controverses / Cons caducs ou cons débutants / Petits cons d´la dernière averse / Vieux cons des neiges d´antan. »  (Georges Brassens « Le temps de fait rien à l’affaire » 1962.)

Lundi 21 janvier 2013. Les forces maliennes  appuyées par les soldats français de l’opération Serval ont repris aux terroristes les villes de Diabaly et de Duentza.

37  étrangers de huit nationalités différentes ont été tués lors de l’attaque et de la prise d’otages d’In Aménas.

A Washington, au capitole, Barack Hussein Obama lève la main droite et invoque : « So help me God ! »

Pendant ce temps,  à Berlin, dans le métro ligne S1, en face de moi, un contrôleur en opération camouflage incognito de la BVG (la compagnie des transports berlinois) me montre sa carte: « Contrôle des titres de transports ! » C’était lundi matin très tôt,  je n’avais qu’une station à parcourir pour aller chercher du bon pain et pas de ticket, résultat : 40€ d’amende, et dire que demain,  nous allons fêter le 50ème anniversaire du Traité de l’Elysée ; c’est beau l’amitié franco-allemande !

Mardi 22 janvier 2013. Les médias décalent au 3ème rang de l’actualité l’intervention française au Mali, le show du jour est ailleurs, en deux mots : « Göttingen »(1) et  « Mercaptan ». Au-dessus de Berlin, les hélicoptères vrombissent, Angela Merkel et François Hollande célèbrent à l’Ambassade de France de Berlin 50 ans d’amitié Franco-allemande. En France, on l’annonce,  une forte odeur chimique « non toxique » du Mercaptan provenant d’une usine rouennaise s’est répandue dans la nuit de lundi à mardi sur la région parisienne.

Retour à Berlin,  il a neigé toute la nuit, la température extérieure est de -10°C, il est 7h03, j’arrive à l’Institut français ; ce matin, France Inter délocalise ses studios dans la capitale allemande.

A l’entrée, entre deux portes, Nicolas Robida, journaliste au Petit journal de Canal + et son équipe jouent la discrétion.

Dans  le studio, à mi-chemin entre cafés chauds et croissants,  une quarantaine de lève-tôt sont déjà assis pour la matinale radio la plus écoutée de France.  Il est 7h05, le journaliste Patrick Cohen est à l’antenne.

 

Emission  » Comme on nous parle » de Pascale Clark Chroniqueurs: Les Kids ( Mehdi Meklat et Badroudine Saïd Abdallah ) Invités: Marie NDiaye (Prix Goncourt 2009) et l’écrivain Jean-Yves Cendrey. Crédit photo A.G

7h40. « Il n’y a plus de Merkozy  et on n’est pas sûr qu’il y ait un jour un Merkollande, Bonjour tristesse. »(2)   Sur mes genoux, je regarde la Une de Libération, une photo de mariage arrangé, veste lie-de-vin pour Merkel et l’intenable cravate de travers pour Hollande. Noces d’or certes, d’« Un couple sans passion », titre le quotidien.

7h50. Au micro de Pascale Clark : Camille de Toledo est écrivain et vit à Berlin. Mercredi 23 janvier 2013, Libération publie  sa  lettre ouverte à Angela Merkel et François Hollande. Extrait : « […] Le président de la République et la chancelière ont une opportunité historique de faire de ce 50ème anniversaire non pas une commémoration de plus qui transforme l’Europe en un musée d’Histoire vivant, un parc à thèmes pour touristes mondialisés […] »

8h37. Dernier invité de Patrick Cohen, le cinéaste allemand Wim Wenders se souvient de son premier voyage en France en 1962. Il avait 17 ans : « j’ai rencontré plein de français pour qui j’étais le tout premier « bosch » qu’ils rencontraient après la guerre. »

8h59. L’odeur du gaz Mercaptan sur la région parisienne, associée à l’anniversaire du traité de l’Elysée à Berlin, a donné lieu à une corrélation spontanée car inconsciente  de Pascale Clark, qui prenant l’antenne, sous nos yeux, fuse Patrick Cohen d’une interrogation  anachronique: «  Vous ne trouvez pas que ça sent le gaz un peu ? » Petits sourires dans l’audience… Chère Pascale Clark,  l’Allemagne et la France sont de vieux amis de 50 ans, mais  malgré ces longues années, entre amis on ne se dit pas tout ! « Gaz » qui se dit « Gas » en allemand, est le mot qu’il faut tourner sept fois dans sa bouche en Allemagne avant d’être certain de ne heurter personne, croyez-en mon expérience, nous nous sommes tous fait avoir une fois. Mais  l’amitié franco-allemande c’est aussi ça, des maladresses…qu’on se le dise!

Mercredi 23 janvier 2013 : « Je dois beaucoup à Nicolas Sarkozy » affirme-t-elle. Elle, c’est Florence Cassez. Une libération après 7 ans d’emprisonnement, la Française avait été condamnée à 60 ans de prison au Mexique pour séquestration, d’association de malfaiteurs et de possession d’armes. Liberté immédiate et absolue en France, culpabilité pérenne et inconditionnelle au Mexique.

Jeudi 24 Janvier 2013. On en oublierait presque le Mali ! Florence Cassez est  partout et pour tout le monde. Au Mexique, on fait la gueule alors qu’en  France, on court. On court pour oublier le Mali, le mariage pour tous, les chiffres du chômage, les délocalisations…et on court, « On » les politiques, les journaux, les télés, les radios, les anonymes, les chiens…on court tous et dans tous les sens, on court vite…Florence est dans la place, c’est enfin l’heure d’être sur la photo de famille, la cadette est enfin de retour à la maison.

Samedi 26 janvier 2013. Affaire Cassez, on reprend ses esprits. Les médias ont les idées plus claires, mais rares sont ceux qui oseront jeter de l’huile sur le feu en France.  Florence Cassez est libre mais est-elle  coupable ? On s’interroge. Cartes sur table, le 29 janvier, Le NouvelObservateur.com calme le jeu politico-médiatique en publiant, « Florence Cassez libre: un discours médiatique français plein d’arrogance «   Affaire à suivre…

Dimanche 27 Janvier 2013. On ne prend pas les mêmes et pourtant on recommence ! On ressort les politiques, les banderoles, les slogans,  et les poussettes, le CONTRE devient le POUR … Manifestation nationale pour le Mariage pour tous à Paris.

Lundi 28 Janvier 2013. De l’actualité du jour, je filtre pour ne garder que l’inutile.  Le couple Sarkozy est en fête, Monsieur célèbre son anniversaire et Madame chante l’insupportable « Chez Keith et Anita », premier single extrait de son nouvel album Little French. Pendant ce temps, des millions de français y ont cru, comme à chaque fois: « Pourquoi pas!  Pourquoi pas nous! » ont-ils espéré. Et pourquoi pas, Personne! Déception!  Le tirage du Loto de ce jour a été effectué et aucun chanceux n’a remporté le jackpot de 2 millions d’euros.

S’achève ici l’extraction de quelques débris d’actualités accumulés dans mon esprit, depuis deux semaines. Pas certaine d’avoir allégé  l’actualité, mais comme dirait l’autre, le principal, de temps en temps,  c’est de remettre les compteurs à zéro. 

(1)   Chanson écrite et interprétée par Barbara. Un peu plus d’un an après la signature du Traité, le 4 juillet 1964, Barbara bouleversée par l’accueil qu’elle vient de recevoir au théâtre de la ville universitaire de Göttingen, écrit en français puis en allemand… cette chanson devenue l’hymne de la réconciliation franco-allemande.

(2)   Revue de presse, de Lise Jolly, correspondante permanente de RFI à Berlin.

Le 7-9 de Patrick Cohen

  • Dominique Seux
  • Didier Varrod
  • Thomas Legrand
  • Bernard Guetta
  • Lise Jolly et Bruno Duvic

Invités

  • Günther Krichbaum : Député CDU, Président de la commission des Affaires Européennes au Bundestag
  • Bernard Cazeneuve : Ministre délégué aux Affaires étrangères, chargé des Affaire européennes
  • Claude Bartolone : Président de l’Assemblée Nationale
  • Wim Wenders : réalisateur, producteur, scénariste de cinéma et photographe allemand, né le 14 août 1945 à Düsseldorf.

Comment on nous parle de Pascale Clark recevait le couple d’écrivains français expatriés depuis 5 ans à Berlin :  Jean-Yves Cendrey et Marie NDiaye (Prix Goncourt en 2009 pour Trois Femmes puissantes.)

 


A votre bunker M’sieur Dame!

Le jour où j’ai raconté ma visite au musée de la Stasi (1) de la ville allemande de Leipzig à mes colocataires allemands, je compris qu’il existait encore des sujets à traiter avec des pincettes : l’Allemagne et son Histoire est l’un d’eux.  

Derrière un certain mutisme,  les Allemands (je ne mets pas tout le monde dans le même panier, il y a des exceptions, surtout générationnelles, je vous l’accorde) expriment souvent une gêne troublée lorsque vous évoquez l’Histoire de leur Pays, cette dernière pouvant quelquefois engendrer au cours d’une conversation, un surplus de « silences » et une suractivité du « vite passons à un autre sujet ».  

Leipzig 2011
Peinture Berlin et le Mur – Leipzig 2011 Crédit Photo A.G

L’Histoire allemande, telle qu’on l’évoque généralement aujourd’hui, se manifeste encore par des émanations délicates que nous pourrions synthétiser sous la forme de deux tangentes. Premièrement « Die Schuldfrage », « la question de la culpabilité », et deuxièmement : une stigmatisation issue du nazisme et de la guerre froide.

Les échos quotidiens d’une mémoire collective, porte-parole du meilleur comme du pire.

Le meilleur : Mes passionnantes discussions avec mes amis allemands sur nos histoires familiales durant les périodes de soubresauts de la Grande Histoire.

Le pire : en mémoire me reviennent quelques commentaires sur l’engouement de l’Allemagne pour  son équipe de foot « la Mannschaft »  durant la coupe du monde de 2006, organisée par l’Allemagne.  En cause les drapeaux de couleurs (noir, rouge et or) qui s’affichaient à tout vent aux quatre coins du pays (comme dans toute nation en compétition, pour ce genre de manifestations footballistiques). Sauf qu’en terre goethéenne, cette exposition sportive avait de-ci de-là ravivé une certaine frilosité à parler sereinement d’un patriotisme et par conséquent, d’un nationalisme en Allemagne.

Gott Warum ? À cause de l’Histoire. 

Des cicatrices historiques qui ont le don de se rappeler épisodiquement à vous.

Pendant deux ans, j’ai habité la rue la plus médiatico-journalistique de Berlin : Axel Springer Strasse (2). Au pied de mon immeuble, sur le trottoir, filait une ligne en pierres foncées et cuivrées,  la trace d’un ancien mur de béton-barbelé, qui aujourd’hui marque ponctuellement et « commémorativement »  le macadam berlinois.  Chaque jour,  cette empreinte figée dans l’asphalte, je l’enjambais pour de faux. Mon immeuble était à l’ouest, arrondissement de Kreuzberg, un pas me suffisait pour passer à l’est, arrondissement de Mitte. J’entretenais souvent l’anodine habitude de garer mon vélo à l’est et de rentrer chez moi à l’ouest.

Axel Springer Strasse 2012 Morgen Post
Axel Springer Strasse 2012 Morgen Post « Agression » commise sur l’Homme qui marchait sur le Mur. Crédit Photo A.G

En face de ma rue, la statue d’un homme allemand marchant en équilibre sur un débris d’origine du mur, alors que  juste dans la perspective de la fenêtre de ma chambre, l’ancien poste de frontières berlinois, Checkpoint Charlie (3) se laissait apercevoir.

Depuis quelques mois, j’ai déménagé, direction Wedding (ancienne zone d’occupation française de Berlin). A deux rues de chez moi, file la Bernauer strasse et ses touristes venant la parcourir. Les images qui rendirent cette rue si  célèbre sont notamment celles de personnes fuyant Berlin-Est, en sautant par les fenêtres de leurs maisons, pour atterrir sur le trottoir en territoire Berlin-Ouest. Les fenêtres de ces maisons furent rapidement murées afin d’éviter des récidives.

Bernauer Strasse Berlin 2012Photo
Bernauer Strasse Berlin 2012 Crédit Photo A.G

Mais comment gérer une telle richesse historique sans pour autant tomber dans le piège à touristes, les visites historiques tape-à-l’œil ou à l’Histoire à trois francs six sous sauce berlinoise ?

Ce serait mentir de dire que ce genre de visite n’existe pas (le Musée de la DDR est selon moi, le pire de ce qui se fait à Berlin) mais ce serait aussi rendre un agréable service que de mentionner qu’il existe l’une des plus impressionnantes visites de l’Histoire allemande, ce miracle se trouve sous terre berlinoise et se nomme Berliner Unterwelten

Association des Mondes Souterrains Berlinois.

Depuis 1997, cette association culturelle à but non lucratif documente, protège et rend accessible le patrimoine souterrain de la ville de Berlin. Grâce à ses activités, de nombreux tunnels de la  Guerre froide, ainsi que des bunkers, abris civils, abris anti-bombardements et antiatomiques datant de la Seconde Guerre mondiale sont aujourd´hui protégés et ouverts au public.

Pourtant à la normale, rien ne m’agace plus qu’une visite guidée pour touristes français, avec guide française. C’est donc l’humeur ronchonne que je suis allée un mercredi après-midi visiter Berlin dans son ventre, au cœur même de ses souterrains.

Nous étions une trentaine de personnes, au point de rendez-vous à quelques pas de chez moi « Entrée du Métro Gesundbrunnen » pour le Tour n°1. À 15h pile, notre guide Laure, gilet fluorescent orange sur le dos et clés en main, ouvrit en catimini une grosse porte en fer, nous y pénétrâmes et descendîmes sagement des escaliers, la porte se referma. Devant nous commençaient alors des kilomètres de souterrains

 Ces visites placent les visiteurs du côté civil.

Une ville en sous-sol  avec ses salles, ses règles, ses drames, ses objets, ses anecdotes… Notre guide, archéologue de métier, qui a elle-même participé à quelques fouilles souterraines à Berlin, a une totale connaissance des lieux, aucune mise en scène inutile de sa part, uniquement les mots d’une passionnée d’Histoire. Les récits et les objets sont rares et pour la plupart méconnus à l’image des explications passionnantes sur « Ziviler Luftschutz des Zweiten Weltkriegs » (protection aérienne civile de la Seconde Guerre mondiale)

Environ 500 000 tonnes de munitions sont tombées sur Berlin,  3 000 d’entre elles n’auraient pas encore explosé.

Ces visites n’exploitent pas futilement ce que la Seconde Guerre et le Mur ont laissé comme traces dans Berlin et globalement en Allemagne,  jamais on ne dérape dans le versant facile de : « la Méchante Allemagne ! » ou dans la complainte amusée du « les pauvres berlinois de l’Est ! ». Au contraire, nous pénétrons avec justesse au sein même d’une époque et d’un contexte spatio-temporel qui ont engendré l’état d’esprit et le destin d’un pays et de ses citoyens. N’oublions pas que marcher dans les rues de Berlin, c’est aussi marcher au-dessus d’une ville souterraine.

Abris civiles Gesundbrunnen Berlin Unterwelten e.V © Dietmar Arnold
Abris civiles Gesundbrunnen Berlin Unterwelten e.V
© Dietmar Arnold

Conseils pratiques :

Le Tour nº 1 est la visite d’un bunker authentique de la seconde guerre mondiale au plein cœur du centre-ville de la capitale allemande.

Le Tour n°2 est la visite de deux des sept étages d’origine du plus complexe Bunker de Berlin.

Le Tour n°3 dévoile les traces laissées par la Guerre froide dans le sous-sol berlinois. Durant cette période, d´anciens bunkers furent secrètement réactivés et de nouveaux abris furent construits à Berlin-Ouest dans l´éventualité d´un conflit nucléaire.

Le Tour M : Après que le régime est-allemand ait ordonné l´édification du Mur de Berlin, beaucoup de civils ont tenté, au péril de leur vie, de franchir cette frontière à travers des tunnels creusés dans le sol sableux de la ville. Le premier tunnel a été creusé dès novembre 1961, le dernier en 1982. Il y a eu au total plus de soixante-dix tunnels, seulement 20% d´entre eux ont été couronnés de succès. Ils ont permis à plus de 300 citoyens de la RDA de fuir vers Berlin-Ouest

  • Budget de 10€ (cash) –  90 ou 120 minutes de visite selon les tours.
  • Être habillé chaudement, les casques sont fournis par l’association.
  • Les différents tours se font en plusieurs langues avec des guides professionnels.
  • Des visites privées pour des groupes peuvent être envisagées, pour se faire, contacter l’association.

Pour de plus amples informations, l’association met à votre disposition un site Internet très détaillé et en plusieurs langues. 

(1) Le ministère de la Sécurité d’État (Ministerium für Staatssicherheit, MfS), dit la Stasi, était le service de police politique, de renseignements, d’espionnage et de contre-espionnage de la République démocratique allemande

(2) Axel Springer, né le 2 mai 1912 à Hambourg et décédé le 22 septembre 1985 à Berlin Ouest est un magnat de la presse allemande et fondateur de la maison d’édition Axel Springer.

(3) A partir du 22 août 1961, le poste-frontière «Checkpoint Charlie» devint le point de passage pour les membres des forces alliées américaines, britanniques et françaises stationnées à Berlin et désirant se rendre à Berlin-Est. Les touristes étrangers pouvaient y obtenir des renseignements sur les séjours à Berlin-Est.


Ma grande vadrouille

« Je suis un éphémère et point trop mécontent citoyen d’une métropole crue moderne parce que tout goût connu a été éludé (…) » Arthur Rimbaud, « Ville » poème extrait des Illuminations

J’ habite à Berlin depuis 4 ans. Je ne suis qu’une française expatriée parmi d’autres. Je vis dans l’imagination du mythe allemand de l’après 1989, et j’entretiens déjà la nostalgie de mes débuts berlinois: rudes, authentiques et surprenants. J’ai en souvenir des lieux d’Histoire caillouteux que j’avais traversés en 2008, ma valise à roulettes sous le bras… Aujourd’hui les valises y roulent sans un bruit et les monuments se délimitent  d’un bout à l’autre par des parkings à autobus touristiques. Quand Berlin se raconte désormais avec audio-guides et toilettes proprettes.

"La Grande Vadrouille" est un film franco-britannique de Gérard Oury, sorti en 1966. Le film raconte sur le ton de la comédie les déboires des Français face aux Allemands sous l'Occupation
« La Grande Vadrouille » est un film franco-britannique de Gérard Oury, sorti en 1966. Le film raconte sur le ton de la comédie les déboires des Français face aux Allemands sous l’Occupation

Mais casses-toi pauvre … ! Non je reste. En 2012, la confraternité et la culture ont relevé jupes et jupons, pour nous exécuter un grand écart facial entre Paris et Berlin. Les deux capitales célébraient leur 25ème anniversaire de mariage.

En 1987, Paris choisit de s’unir symboliquement à Berlin-Ouest. Deux ans après, en 1989,  la partie Est a rejoint ce concubinage. En 2012, à l’occasion de la célébration de ces noces d’argent, nombreux échanges artistico-culturels se sont ainsi égrainés en bord de Seine, tout comme en bord de Spree.

En Novembre, l’Institut Français de Berlin clôturait l’évènement  par une rencontre littéraire entre écrivains français, installés longuement ou fraîchement  dans la capitale allemande. Occasion pour le magazine,  Le Nouvel Observateur de jouer au bon mot, dans un article culture titré: « Saint-Berlin-des-prés. » La thématique pour l’occasion était donc toute trouvée, « Histoire(s) de Berlin ».


Willkommen à l’Institut Français 
! 
Être français à  Berlin, c’est aussi s’accorder le vicieux et viscéral plaisir de se retrouver à s’adonner à une grande baignade, dans un espace moite et humide, en compagnie d’expatriés, chics et sympas, c’est-à-dire  d’autres français, gargarisés par leurs racines françaises et jouant à  celui qui sera plus berlinois qu’un berlinois: Bienvenue à l’Institut Français.

Quatre écrivains français (dramaturge, nouvelliste,poète …)  nous racontèrent donc leur vie berlinoise, ni plus ni moins, des anecdotes d’expatriés que nous aurions pu entendre si nous les avions tous croisés au bar d’à-côté, entre deux Schnaps et quelques bières.

Ce soir-là, nous étions malheureusement très loin d’assister à une discussion littéraire tenue et tonique, qui aurait, contre tous vents, agité cheveux et esprits.

Je fus un peu déçue mais pas rancunière.Le soufflet mental que je m’étais fait avant cette discussion est retombé, d’un coup ! Mais récupérons toujours ce qui peut être récupérable… En écoutant ces écrivains français, je fus surprise par une interrogation visible dans sa généralité qui nouvellement m’obsède :

_  « Nom de Dieu ! Mais pourquoi venons-nous tous vivre à Berlin ? »

Tous les dimanches, plus de 2000 personnes, des quatre coins du monde viennent assister à l’institution dominicale de Berlin: le Karaoké du Mauerpark (c) A.G

La ville en vogue et en goguette.

Depuis un peu plus d’un an, les  pages glacées des magazines et les  documentaires télévisuels prostituent la capitale  allemande.  A Berlin, nous voulons y aller, nous y avons été, nous y sommes ou nous y serons. Cette nouvelle croisade du XXIème siècle, laissera-t-elle des traces dans l’Histoire ? En tout cas, elle laissera une trace dans mon histoire.

Il était une fois, une stagiaire française (que j’étais) qui,  en 2008, a bu sa première gorgée berlinoise. un an plus tard, son emploi bruxellois lui donna la possibilité d’y retourner pour une deuxième gorgée, elle y connut l’ivresse et n’en est jamais repartie.

Une fois le tarmacadam des aéroports berlinois  derrière soi, la légende raconte que la dépendance à Berlin est instantanée pour celui qui débarque, sa valise à roulettes au bout du bras.

_ Et toi là-bas nouvel arrivant !  Pourquoi cette ville ?

J’aurais répondu:

_ Parce que c’est Berlin !

Et aujourd’hui que répondrais-je? J’extrapolerai qu’il y a 4 ans, Berlin, le chant de tes sirènes m’avait physiquement et psychiquement envoûtée, aujourd’hui pourtant, je te déteste autant que je t’aime.

 

Message adressé aux touristes – Kreuzberg, été 2012 – (c) A.G

A Berlin, à chacun ses humeurs. Les berlinois de souche disent s’y reconnaître de moins en moins, les expatriés entre 1989 et 2009 y sont blasés et nostalgiques et les nouveaux arrivants se retrouvent sous la tutelle des magazines et autres reportages télévisuels qui, outre raconter Berlin à l’identique, écrivent haut et fort qu’elle est la ville to be.

Elle ne tapine pas, mais attire!  Une ville « Pauvre mais sexy (2)» où il fait bon vivre, où l’on respire, où rien n’est comme nulle part, où les jardins citoyens poussent partout, où le niveau de vie en général et en particulier est moins cher qu’ailleurs.

Une ville artistique, une ville qui  propose des possibles illimités.

Une ville où à chacun de vos pas, une ligne de pavés en bronze rappelle à vos semelles qu’ici passa un mur.

Une ville, aux rues margées de trous, un immeuble, un trou… des petits trous, toujours des petits trous, pour cette ville, aux dents creuses, qui offre à travers sa carence, l’Histoire en son état brut.

Musée de la DDR (c) A.G

A tous ces articles et reportages, j’apporte ici même ma propre ligne :    Une ville qui devient le cliché d’elle-même ! Grande nouvelle, Berlin l’inclassable d’antan qui faisait tourner têtes et cœurs, renaît de ses cendres et sera d’ici 3 – 4 ans une capitale parmi les autres. Elle  se capitalise, elle se change, se comble,  on l’habille peu à peu avec bon ou mauvais goût. Nous parlons du Berlin d’aujourd’hui comme on nous parlions du Paris, New York, Londres d’hier, des clichés, des légendes fondées sur ce qui a existé et qui s’apprête à disparaître   La machine est en route….

Quitte à déplaire à certains, je peste avec bienveillance contre Berlin comme un boucher  peste sur le découpage d’un bout de gras. Je les entends les dents grinçantes de ceux qui me disent :

_« Comment peux-tu dire ça, alors que tout le monde adore Berlin ! »

Énervés les amis, à deux doigts du « Berlin, tu l’aimes ou tu la quittes ! » 

Je me sentais coupable de l’attitude blasée que, de plus en plus, je traîne sur roulettes derrière moi. Mes premiers instants berlinois seraient-ils aveuglés par le quotidien et aveuglés par une ville qui sous mes yeux est en train de vendre son âme au diable ? Pas de tergiversation, ni de résignation, il faut quelquefois se remettre les idées en place, je décidais de retourner là où mon amour pour cette ville avait commencé, et là, où aujourd’hui encore, cet amour commence pour d’autres.

15h37. Je suis allée m’asseoir là où je ne m’assois plus jamais pour boire un café ; il y a des jours comme ça où l’âme anthropologue, on aurait presque envie de vivre bêtement.

Troisième table à droite en partant de la gauche,  Starbucks Coffe, Pariser Platz, Berlin.

Température extérieure : 0°C

Ambiance sonore : musique aseptisée.

Ambiance olfactive : « caféinée ».

Je suis assise là, seule avec au bout des doigts un grand cappuccino avec extra de poudre de cacao, de sucre roux et un surdosage de crème sur les abysses.

Sensation de l’instant : Je dirais que j’ai le sentiment d’être une chaussette en laine qu’on aurait accouplée à une chaussette de sport… pas vraiment à mon aise, mais feintant une mine réjouie de se blottir quelque part.

L’hiver n’a pas laissé de place à l’automne. À Berlin, les saisons ne se relayent plus elles font ce qu’elles veulent. Je suis là dans cette chaîne de « café désentimentalisé » parmi des anciens « moi », soit des nouveaux arrivants aux yeux illuminés par la ville et aux corps touristiquement recroquevillés.

La température ambiante intérieure : 20°C, comme dans tous les Starbucks coffe implantés dans les quatre coins de la ville, du pays, d’Europe et du monde.

Tout en réalisant que je viens de dépenser 4€80 pour une tasse de café tiède et à moitié pleine, dans une ville où le prix moyen d’un bon grand café chaud ne dépasse pas 2€20. Je parcours furtivement du regard la salle proprement agencée. Les canapés et les fauteuils sont étouffés et servent d’exutoire à des face-à-face de couples potentiellement amoureux. Sur les tables, Le Guide Michelin, Le petit Futé, le Lonely planet ou le Berlino… On y est proprement chinois,  bruyamment italiens, américains comme à la maison,  on y  parle espagnol très vite et français un peu trop fort. droite, au milieu de leurs explications et de leurs « racontages », le spécimen très remarqué qu’est le français en visite à Berlin me jette alors un rapide regard instinctif, ce regard qui pressent que quelque chose de familier pourrait nous lier, quelque chose d’inexplicable qu’on renifle à cent mètres à la ronde.  D’un bon, j’empoigne mon gros sac à main et cherche agacée un objet berlinois qui identifierait qu’il y a erreur sur la personne, je ne suis plus comme eux, une touriste française happée par le besoin de boire un café dans un lieu totalement en neutralité géographique.

Je continue à farfouiller  dans ce maudit sac ; Verdammt ! Vite un objet berlinois (un ours, un Dörun, un morceau de mur…). Vite ! Autrement ils vont me parler, me demander si j’ai déjà visité Potsdamer Platz, Le Mauerpark, le Musée juif, Les Galeries Lafayette …

Mais rien n’y fait. La tête enfournée dans ma tasse, je réalise que je porte sur moi ce petit surplus qui me classe dans la catégorie non-berlinoise,  car soudain, qu’entends-je ?

_« Unchuldigung! Du schpritzch English ? »

Je suis faite comme un rat, les yeux rondement paniqués comme un lapin pris dans les phares d’une voiture: je lève la tête et lâche un « Yes » de confirmation et j’enchéris :

_« Mais on peut parler français, je suis française aussi … »

Et là, en un instant, mes deux français se déchargent des 20 kilos de stress que sont, pour le français, de parler une langue étrangère ; légers, ils me surchargent alors de sourires sympathiques et de bouches débordantes de questions :

_ « Ah super, tu visites aussi Berlin ? C’est une ville incroyable! T’as déjà vu quoi ?… »

Une chanson française, des années 80 du groupe Louis Trio, me traverse alors l’esprit : « Non non tout mais pas ça ! Tais-toi, tais-toi non ne me raconte pas ça. »

Avec cette petite supériorité mal placée que l’expatrié français ressent souvent lorsqu’il croise ses congénères, je me dis qu’il est temps de remettre rapidement les pendules à l’heure :

_ « Non, j’habite à Berlin. » Badaboum… L’information est tombée !

Je surenchéris :

_  « Oui, je vis à Berlin depuis 4 ans!»

Et là, grâce à Berlin, je reçus des yeux admiratifs et envieux comme jamais on avait eu la bonté de m’en offrir. S’en suivirent des demandes, des conseils et des bons plans, des « Pour qui ? », « Pourquoi ? « Comment ? »  « Par où ? » « Quelle chance tu as! »

 

(2) Maire de Berlin Klaus Wowereit


Mac Do ou Macbeth ?

Le propos de ce billet est encore théâtral. Sa problématique est volatile : le spectateur a-t-il condamné le théâtre ?  Je vous entends déjà hurler la bouche en trou de puits et les yeux révulsés en hibou perché « Oh la lala …Le Théâtre ! » Mais il y a des jours comme ça où une question aussi accessoire, inutile et inintéressante  qu’elle semble l’être, (tout est question de point de vue), m’envahit tellement qu’elle doit sortir de moi-même par un moyen ou un autre.

7 mai 2005, Bruges, Belgique – des volontaires posent nus pour le photographe Spencer Tunick. © Reuters / Peter Maenhoudt

En 2009, l’imitateur Patrick Sébastien jouait au théâtre dans une pièce au nom macropodidé : « Kangourou ». Et la semaine dernière, qui vois-je en interview au journal télévisé de France 2 ?   Le chanteur « jazz-suzette » Dany Brillant, venu vendre son morceau de lard, non je veux dire son morceau d’art, une pièce théâtrale au titre navrant « Mon meilleur copain », (61€ la place, je dis ça mais je dis rien !) On parle d’eux comme des comédiens, ce qu’ils jouent, s’appelle aussi Théâtre et grande nouvelle, à la fin de ces représentations,  beaucoup de spectateurs se diront bêtement soulagés d’avoir  été au théâtre et d’avoir tout compris… Mais c’est quoi ce bordel, je m’excuse je veux dire : Mais qu’est-ce que ce bric-à-brac !

« J’ai rien compris !» Jeudi dernier, à Berlin, j’ai assisté à la Première de « The four seasons restaurant » du metteur en scène italien Romeo Castellucci. Une heure de représentation théâtrale telle, engendre quelquefois  des jours et des jours de belles ruminations mentales. Mais faut-il encore savoir pourquoi nous venons au théâtre ?

La pièce de Romeo Castellucci s’achève. Les deux premières rangées d’oignons de journalistes s’auto-attribuent le droit de s’exonérer  des applaudissements, pendant que l’état psychique et physique du spectateur,  en fin de séance castellucienne, expulse souvent des applaudissements ramollis.

Personnellement, mon baromètre d’engouement est simple, à la minute même où je quitte mon siège, mon appréciation d’une pièce de théâtre se jauge à mon comportement; Mauvaise: je débats, agacée, la langue pendant jusqu’à m’assécher de salive. Bonne : je suis à la fois une carpe muette et un lapin aveuglé par les phares d’une voiture, tâtonnant de la main le zinc du bar le plus proche.

Et il y a aussi des soirs d’après théâtre comme celui-ci même, où le concentré de certaines phrases de spectateurs peuvent laisser un arrière-goût âpre qu’on irait bien cracher un peu plus loin.

La question mortelle ?

_ « T’as compris quelque chose ? »

L’exclamation crucifiante :

_ « Moi, j’ai rien compris ! »

L’affirmation perdue :

_ « Alors, j’ai beau avoir lu deux fois le programme, je ne vois pas le rapport avec la pièce ! »

Une improbabilité m’a sauté à la gorge sans crier gare : il me semble, non pas que le théâtre perd son spectateur (quoique mais c’est une autre histoire) mais c’est le spectateur qui a perdu l’habitude du théâtre.

Alors je vous entends à nouveau rugir d’agacement des redondances faussaires : « Les intellectuels du théâtre sont prétentieux dans leur milieu fermé de théâtreux, où des initiés  gargarisent leurs pensées. Mais vous allez voir, la blogueuse théâtreuse, elle va dénigrer le théâtre populaire du présentateur qui fait tourner les serviettes, et rajouter  que le cinéma et la télévision ont dévitalisé le théâtre,  en offrant une compréhension, une intellectualisation et un déchiffrement bouillis, et pré-mâchés à un spectateur de théâtre du coup décomplexé. »

Non, elle n’écrira pas ça la blogueuse car la conception du spectateur complexé au théâtre et toutes ces théories auxquelles elle ne croit pas, elle les laisse à d’autres, mais par contre, elle va prendre à bras le corps les points pour les remettre sur les « i », quitte à se donner des airs d’intellectuels, de donneuse de leçon à la mordsmoi-le-nœud. Je me risque à tout, même à ça, il y a une base théâtrale à reprendre pour ne plus entendre des incongruités malheureuses de spectateurs, surtout et avant tout quand la pièce est d’une qualité sensorielle et visuelle sans comparaison, Grazie mille Castellucci ! Je vous préviens, ça va parler théorie théâtrale simplifiée, la  rabat-joie  va faire sa morale,  je serai brève, mais quand il faut que ça sorte…

Mains jointes et genoux sur le prie-Dieu ! Quand je suis au théâtre, je me formule toujours silencieusement une prière qu’un sage sémiologue (1) du spectacle vivant m’a un jour transmis : « au théâtre on ne fait que « croire », c’est de la « dénégation », c’est-à-dire  un régime de croyance au spectacle sur le mode du : je sais bien que ceci, n’est pas réel mais j’y crois comme si ça l’était. » Amen !

Spectateurs paresseux s’abstenir. Je m’explique : Les « savoirs » du spectateur et la conscience qu’il a d’être dans un espace spectaculaire où la réalité est transformée, rejetée pour être réinjectée différemment à travers un contrat de lecture installé tout au long de la production du spectacle, constitue la base du travail sur laquelle peut s’articuler la construction du sens.

Spectateur! Il est donc temps de retrouver ton émancipation et d’affirmer ta capacité de voir ce que tu regardes et de savoir quoi en penser et quoi en faire!  Quand l’ouvreuse  déchire votre billet, vous entrez dans le cérémonial, tout ne sera plus que théâtre, vous jouez votre rôle de spectateur et la magie théâtrale se produit ; Aller au théâtre ce n’est pas faire acte de présence mais d’expérience et quelquefois savoir profiter du moment de grâce, où le théâtre produit du Beau juste pour le Beau, si vous voyez ce que je veux dire … Après, il y a des peines perdues, des mises en scène insupportables, irrécupérables où même le plus pédant de mes conseils lambda n’y changera rien, dans ce cas-là, je vous dirais juste qu’avant de foutre le camp,  ayez quand même une ou deux bonnes critiques justifiées sous le coude (autre que « j’ai rien compris ! »), histoire de défendre votre rôle de spectateur émancipé.

(1) Etude de la manière dont les différents systèmes de signes permettent aux individus et aux collectivités de communiquer.
Théorie des signes, de la manière dont ils fonctionnent, de leur sens.


Ô Romeo Pourquoi es-tu Romeo?

Le scandaleux, le transgresseur, celui qui rutile le théâtre côté cour, côté jardin, par le haut et  par le bas, qui charge, incommode, astreint le regard  du spectateur,  celui qui vous vide, vous remplit, d’un théâtre d’images et de mots pesés…

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Le metteur en scène, scénographe, plasticien italien Roméo Castellucci revient, cet automne, à Berlin. Dans le cadre du Festival Foreign Affairs, organisé par la Berliner Festspiele,  l’artiste italien présente sa dernière création « The Four Seasons Restaurant », une mise en scène inspirée du poète romantique allemand Friedrich Hölderlin (La Mort d’Empédocle) et du  peintre expressionniste américain  Mark Rothko.

Allant moi- même à la première berlinoise, je livre ici comme unique explication pour cette nouvelle création, cette phrase tout droit retranscrite du dossier de presse: « Si Roméo Castellucci a intitulé sa création The Four Seasons Restaurant en hommage au refus que le peintre américain Mark Rothko fit à ce fameux restaurant new-yorkais d’y placer les toiles commandées, trouvant que la clientèle snob du lieu lui semblait soudain insupportable. » (1) 

Verdict, à la Première Jeudi 25 Octobre !

Il est Divin !  

En 2007,  Romeo Castellucci  est nommé Artiste associé par la Direction du festival d’Avignon pour l’édition 2008. Il y créait pour l’occasion une mise en scène unique de « La Divine Comédie » de Dante.  Enfer, Purgatoire, Paradis, les trois cantiques de cette œuvre littéraire grandiose du moyen âge auront soigneusement été essorés de leur charge sacrée par un Castellucci en totale conscience de son art. Le piège de créer une mise en scène à travers le prisme d’une lecture philosophique est totalement évité,  le metteur en scène choisit, sans détour,  de donner à sentir et ressentir,  le sacral de cette œuvre de Dante en la faisant suinter de tous côtés. Travailler avec l’Impossible avec un grand « I » permet souvent d’atteindre et de magnifier tous les possibles.

Inferno Festival d’Avigon Palais des Papes 2008

Sa ligne de conduite est aiguisée : 

L’Enfer: « il doit garder le caractère d’un monument de la douleur »
Tout commence avec l’attaque d’un homme – Castellucci lui-même – par des bergers allemands.
Le Purgatoire: « il doit garder le caractère d’un tourment existentiel »
Dans cet enfer-ci, les pères étranglent leurs bébés,  on met le feu aux pianos, l’acte incestueux est mis en scène, et pire encore pardonné par l’enfant.
Le Paradis: « il doit garder le caractère d’une muette contemplation » (2)
Dans l’église avignonnaise des Célestins, Castellucci plonge son spectateur dans le silence du recueillement et le macule d’une lumière aveuglante.

 

« On ne peut pas tout nettoyer avec de la lumière, parce que la lumière provoque toujours de l’ombre. » (3)

Paris, Avignon, Bruxelles, Berlin … au théâtre,  j’y ai mes coutumes, mes usages et mes amis (personne n’est parfait) à chacun ses vices et ses petites habitudes.  Et comme pour tout, les arts de la scène ont leurs rites : à chaque année, son scandale théâtral ! 2011 n’a pas failli à la règle, le scandale est « européen », le scandaleux est italien : 

T’as vu  le dernier Castellucci ? 

En 2011, du Vatican à Paris « Sur le concept du visage du fils de Dieu » de Romeo Castellucci est le spectacle dont tout le monde parle sans même l’avoir vu ! Les représentations jouées au Théâtre de la ville à Paris ont plutôt mal tournées ! Intégristes catholiques, membre de l’Action Française interrompent les représentations, le service de sécurité du théâtre se donne en spectacle et  des manifestants canardent la foule du premier étage du théâtre avec de l’huile de vidange. Des hurlements fusent, des contestataires montent sur scène hurlent au blasphème et s’écrient : « Christianophobie ça suffit ! »

Quelle est donc la teneur de ce spectacle, dont tout le monde parle et que peu de gens ont vu ?

Personnellement, je dus patienter jusqu’en mars 2012, pour trouver ma réponse, quand le spectacle fut présenté à Berlin au Théâtre Hebbel am Ufer Hau 1. Aucun scandale, ni débordements, une audience attentive face à une œuvre théâtrale rude, radicale et belle.

Sur la scène du mobilier blanc, moderne, design : à gauche, un canapé devant une télévision, au centre deux chaises autour d’une petite table à manger et à droite un lit  double. Au fond du plateau se dresse, en très grand le visage du Christ par Antonello de Messine. En action, deux hommes, un père et son fils. Le vieil homme est victime d’incontinences successives. Il souille le canapé, le sol, le lit. A ses côtés, son fils  prend soin de lui, le rassure, le lave, lui remet inlassablement ses couches.  Puis épuisé par les défécations incontrôlées et interminables, le fils finit par délaisser, dans ses excréments, ce père désarmé et pleurant.

La scène se déroule lentement sous le regard,  apaisant,  inquiétant et hypnotisant,  d’un autre fils, celui de Dieu… Ce portrait gigantesque du Christ en toile de fond face à cette relation père-fils est à la  limite du supportable. Non que le propos, les images ou les actes choquent par un avilissement originel, mais parce qu’en quarante-cinq  minutes, Castellucci nous interroge de façon foudroyante  sur le sens de la vie à travers le spectre de la foi.

Sur le concept du visage du fils de Dieu, la pièce de Romeo Castellucci. Crédits photo : ANNE-CHRISTINE POUJOULAT/AFP
Sur le concept du visage du fils de Dieu, la pièce de Romeo Castellucci. Crédits photo : ANNE-CHRISTINE POUJOULAT/AFP

La chair, la matière,  les odeurs d’excréments persistent et sont à la limite du supportable côté public, quand soudain des enfants entrent sur scène, leurs sacs d’écoles remplis de cailloux. Le visage du Christ sera caillassé pendant plus de dix minutes sans interruption. L’acte final est un chaos autant sur scène que dans nos esprits,  le portrait christique finit pas s’enflammer, pour ne laisser qu’une trace, celle d’une phrase : « You are not my shepherd » (« Tu n’es pas mon berger »). Bravissimo !

Le chercheur d’images

Castellucci nous sert et nous ressert encore, il nous gave d’images, de lumières, de références… il rassasie  un spectateur jusqu’à un écœurement honoré, on ne digère jamais ses créations, on les rumine.

Le véritable conflit spirituel et physique de ses représentations théâtrales se dilate en chaque spectateur, ça vous prend aux tripes, à l’estomac, à la gorge et ça sublime l’esprit. Contrairement aux apparences, le spectateur est au centre de l’œuvre, Romeo Castellucci lui tend un miroir et lui propose un  reflet inévitable.

Éviter de tomber dans le piège de l’érudition, éviter le problème de la culture en général, éviter un parcours déjà connu, déjà proposé, éviter la certitude rhétorique de l’actualisation du texte qui affadit et contraint à l’illustration, sont globalement les lignes de conduite castellucciennes.

Certains reprocheront beaucoup au théâtre de Castellucci, pendant que d’autres crieront  littéralement au génie, mais nous ne lui ôterons jamais une grande qualité, celle de renouveler sans cesse une question fondamentale :à quoi sert le théâtre ?

 
(1)    Dossier de presse Berliner Festspiele, Berlin, 2012
(2)    Dossier de presse Théâtre Le Maillon, Strasbourg, 2009
(3)    Propos recueillis et mis en forme par Paul LEFEBVRE festival Transameriques, 2012
Berliner Festspiele « Festival Foreign Affairs « 

Romeo Catellucci “Four Seasons Restaurant”

25 -26 Octobre 2012, 20h 

Rencontre avec Romeo Castellucci (25 octobre)

Vendredi 26 octobre 2012, Haus der Berliner Festspiele  Projection du film  « La Divine Comédie : Inferno » à 18h

 


Les trois coups

Pour un week-end, une semaine, une année, une vie… quelques bonnes adresses pour devenir berlineusement comme il se doit, des « théâtreux », des « chorégrapheux »,  et des « performeux ». Rapide inventaire des scènes berlinoises où il fait bon, une bière à la main, y faire son « cultureux ».

Berlin capitale de l’électro, capitale du clubbing, capitale du pas cher,  capitale de la saucisse au curry, capitale du « Look No look », capitale du petit loyer, capitale du marché aux puces, capitale du Frühstück, capitale des espaces verts, capitale du Döner,  capitale du créatif, capitale de  la flemmardise, et Berlin capitale aussi du théâtre, de la danse et de la performance.

Volksbühne am Rosa-Luxemburg-PlatzCrédit Photo Aurore Guérin
Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz ( Crédit photo A.G)

J’ai connu les scènes montpelliéraines, marseillaises, parisiennes, bruxelloises, varsoviennes, pragoises, ukrainiennes,  australiennes…  toutes sont autant ressemblantes qu’elles sont différentes, et bonne nouvelle, les scènes berlinoises n’enfreignent  pas la règle,  quoique …

Radialsystem V: Space for Arts and Idees Berlin – (crédit photo A.G)

Amateurs ou fins connaisseurs des arts du spectacle vivant, sachez qu’aller « au spectacle » (comme dit ma grand-mère) ou aller au théâtre à Berlin, c’est toute une cérémonie.

Première  règle d’or, le « théâtreux berlinois » déteste arriver en retard et bougonne  tout autant après ceux qui le sont, ainsi pour s’harmoniser, à Berlin, vous arrivez une heure maximum avant l’horaire indiqué sur votre billet.

Vestimentairement parlant,  s’y rendre comme vous descendez acheter votre pain à votre  « Bäckerei » (« Boulangerie ») ni plus ni moins.

Surtout  ne pas  avoir dîner ou grignoter avant la représentation, que vous soyez dans un théâtre de l’est ou de l’ouest berlinois, vous ne résistez jamais au panier en osier du vendeur de bretzels à 2€, un bretzel qui, au pire, vous ouvrira l’appétit, au mieux déclenchera en vous une terrible envie de vous désaltérer…

Debout, devant ou à l’intérieur du théâtre, 50 minutes à l’avance, voyant arriver vos amis au compte-gouttes,   vous éviterez tout étouffement au bretzel en vous dirigeant dans le calme vers l’un des bars du théâtre.

A Berlin, on s’alcoolise dans la rue, dans le métro, au cinéma et aussi au théâtre avec modération et esprit, bien sûr !

Il est pratiquement l’heure, vous venez d’achever votre 2ème  verre de vin rouge, au milieu de toute cette foule au bretzel à la main, vous avez déjà égaré mari, enfant, fiancé, amis, écharpe, gants, bonnet…  pas le temps, ni d’y penser ni de les retrouver,  les portes s’ouvrent, et vous vous empressez comme tout le monde dans la file. Faire la queue pour un spectacle à Berlin se résume à pousser du coude et à écraser du pied, car, comme tout professionnel ou pas, de la scène berlinoise, vous voulez rentrer le premier pour avoir « la » meilleure place (acte de combativité totalement obsolète et folklorique  puisque fauteuils et billets sont toujours numérotés.)

Le spectacle est terminé. Que  vous soyez  enchantés, déçus, interpellés ou bouleversés par la représentation jouée, vous vous devez de rester dans l’antre du théâtre pour y donner votre avis; retour au bar donc, où vous irez noyer votre  peine ou votre  joie dans une bière. Au bar justement, vous y retrouverez à l’occasion votre mari ou votre petit ami, pour qui ce spectacle de danse contemporaine d’inspiration Butô n’aura connu aucune prolongation au-delà de l’entracte.

Le verbe haut et le geste ivre, vous débattrez alors  à n’ en plus finir avec d’autres comme vous, soit  d’autres « cultureux », « théâtreux », « chorégrapheux », « performeux »…

Conseils, critiques et bonnes adresses des théâtres berlinois où j’aime moi aussi, faire ma cultureuse! Liste non exhaustive à lire : Page Théâtres à Berlin.

 (Liste non exhaustive)

Das Theater Hebbel Am Ufer :  HAU 1- HAU 2- HAU 3

HAU sweet HAU! Tant dans son contenu et dans la forme, en plein centre du quartier de Kreuzberg, ces trois espaces Hau1, Hau 2 et Hau 3 offrent un large éventail de représentations jeunes, avant-gardistes et expérimentales.

HAU - Hebbel am Ufer Berlin
HAU – Hebbel am Ufer Berlin

Des installations visuelles, sonores en interaction avec le public y font régulièrement une halte. En résidence permanente, entre autres, l’expérimentale troupe de théâtre documentaire Rimini Protokoll

Côté festival, chaque année, le festival « 100°Berlin » s’installe sur ses planches. La danse contemporaine y est aussi grandement représentée tout au long des saisons, en particulier lors du festival estival « Tanz im August » et le festival Brazilian « MoveBerlim » tous les deux ans.

Le 7ème art s’y critique chaque année, avec la rencontre du « Berlinale Talent Campus » dans le cadre de Festival du film de Berlin: La Berlinale.

Régulièrement en représentation:

Les chorégraphes : Laurent ChétouaneAnne Theresa de Keersmaeker (Compagnie Rosas),  la compagnie P.A.R.TXavier Leroy

Les metteurs en scène  et troupes de théâtre : Roméo Castellucci, , Gob Squad, Ghost Machine Videowalk de Janet Cardiff und George Bures

Et annuellement en concerts performatifs: PeachesChilly Gonzales …

 

Sophiensaele

Personnellement, je dirais que La Sophiensaele se différencie des autres théâtres indépendants berlinois avant tout en proposant une  programmation  en grande partie internationale, et en offrant  une aide et un encadrement post-production pour artistes et compagnies de tout bord et de tout budget.

Die Sophiensaele Berlin

Devenu un lieu incontournable pour la création scénique internationale, la Sophiensaelen offre, chaque années une série de festivals majeurs :

  •  « Freischwimmer »  une plate-forme pour le théâtre jeunesse.»
  • « Tanztage Berlin »  promeut  activement de nouvelles formes d’expressions  chorégraphiques.
  • « 100°Berlin », tout un week-end dédié au théâtre indépendant. –  en collaboration avec Das Theater Hebbel Am Ufer HAU 1-2-3
  • « Tanz im August , le Festival de la danse contemporaine.

 

Radiasystem V: Spaces for Arts and Idees

Radialsystem V Berlin
Radialsystem V Berlin, Crédit photo A.G

Prêts à prendre des risques?  Radialsystem V développe et teste de nouveaux formats artistiques.   L’idée de base est le dialogue artistique et  l’ouverture de nouvelles formes de représentations scéniques non-conventionnelles, permettant des approches et des fusions interdisciplinaires. Vous n’avez rien compris… c’est normal !

Pour y avoir travaillé momentanément,  je reste encore bouche bée d’intérêts quand j’y retourne. Difficile de situer cet espace artistique à Berlin, un ovni posé en bord de Spree. Aux manettes de ce vaisseau, son directeur multilingue Jochen Sandig y erre comme un coq en pâte, quant à son épouse, la célèbre chorégraphe allemande Sasha Waltz, elle y donne mensuellement des représentations.

En 2012, La première édition du Berlin Fashion Film Festival a envahi le lieu pour une soirée « modisch » au début prometteur.

Aller à Radialsystem, ne serait-ce que pour profiter de l’immense terrasse en bord de Spree, pour y  voir un film en plein air en été ou  y boire un verre durant les tièdes après-midis ou soirées printanières ou estivales.

 

Volksbuhne : littéralement signifie « Scène du Peuple »

Ne serait-ce que pour gratter de l’ongle, ses murs intérieurs recouverts du marbre récupéré dans les ruines de la chancellerie d’Hitler ou pour y battre et débattre du Théâtre tant qu’il est encore chaud, autour d’une table cosy de son Salon rouge.

La Volksbuhne était le théâtre officiel de l’ex-RDA.

Un monument  de l’Histoire berlinoise et de l’histoire théâtrale allemande donc, cet imposant bâtiment à l’architecture stalinienne. Son symbole,  une roue en bois de charrette avec deux jambes marche sur la pelouse bordant le lieu. Il s’agit là, d’un symbole cabalistique du cercle à six rayons. Cet insigne de la roue aux deux jambes constituait au XVIIème siècle le signe de ralliement  pour les bandits, les sans-logis, les asociaux. Il signifiait, en argot « Va-t’en vite, ici tu es en mauvaise posture.»

Volksbühne Berlin
Volksbühne Berlin (Crédit photo A.G )

Dans les années 30 et 40, les metteurs en scène Max Reinhardt et Erwin Piscator y connaissent la gloire. Durant la seconde guerre mondiale, La Volksbühne est détruite puis totalement reconstruite en 1954.

Depuis 2008, les habitués sont les metteurs en scène allemands Martin Wuttke , Frank Castorf, Herbert Fritsch  ou encore René Pollesch, (René Pollesch dont la dernière création « Murmel Murmel » a l’audace de se jouer uniquement sur un texte constitué d’un seul vocable « Murmel » justement !)

La Volksbühne n’est pas seulement un lieu de représentation théâtrale ; lectures de livres, projections de films, concerts (rock,jazz, électro, tango…) prennent possession de ce large ensemble. Une intelligence théâtrale à la hauteur du lieu.

 

Schaubühne Théâtre qui est né à Berlin-Est et  qui a grandi à l’Ouest.

Elle vient de fêter le 21 septembre 2012, ses 50 ans.  Pour l’occasion, le théâtre avait mis les petites scènes dans les grandes avec une soirée d’anniversaire électrisante, à l’image de sa programmation. Depuis septembre 1999, Thomas Ostermeier y tient à la fois le rôle de directeur artistique associé et de metteur en scène. En 2004, Ostermeier va connaitre un succès remarqué lors du Festival d’Avignon grâce à sa mise en scène de  « Woyzeck » de Georg Büchner.

"Contes africains d’après Shakespeare" Krzysztof Warlikowski Schaubühne 2012 (c) Marie-Françoise Plissart
« Contes africains d’après Shakespeare » Krzysztof Warlikowski
Schaubühne 2012 (c) Marie-Françoise Plissart

Puisqu’ au théâtre aussi, on n’abuse pas des bonnes choses, je me rends donc qu’occasionnellement à la Schaubühne; en d’Avril 2012, j’ai assisté à Contes africains d’après Shakespeare du metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski. Résultat : une semaine pour retrouver mes esprits.

 

Le Deutsches Theater et le Berliner Ensemble, sont mes deux valeurs sûres, avec en grande partie des pièces issues du théâtre classique et de l’adaptation théâtrale d’œuvres littéraires reconnues.

"Richard II" Shakespeare Berliner Ensemble
« Richard II » Shakespeare Berliner Ensemble
Le Berliner Ensemble a été fondé à Berlin en 1949 par Bertolt Brecht. L’auteur etmetteur en scène y abrita pendant des années sa compagnie.

Aujourd’hui, un groupe d’une soixantaine d’acteurs y perpétuent la volonté brechtienne en y offrant une interprétation de qualité des pièces de Brecht, Max Frisch, Thomas Bernhard, Geog Büchner, Yasmina Reza, Anton Tchekhov.

Deutsches Theater

Les grands metteurs en scène allemands dont  Max Reinhardt, Otto Brahm, Heinz Hilpert ou Wolfgang Langhoff y ont travaillé, développé et assis leur succès.

La programmation se rapproche à quelques nuances près au Berliner Ensemble.    Gardons tout de même un œil vigilant sur la programmation du Deutsche Theater, où surgit chaque année, en juin, la rencontre d’auteurs de théâtre Autorentheatertage, dont l’édition 2012 fut riche en lectures et échanges, avec comme finissage un Bal Littéraire défiant sa tradition, conception épurée, innovante, dansante et décoiffante.

 

Au fil des nuagesUne compagnie franco-allemande instinctivement poétique qui donne tout son sens au théâtre bilingue. J’ai rencontré, par hasard en 2011, cette petite troupe, haut perchée sur la scène du théâtre Kulturfabrik du quartier Moabit.  Une étonnante soirée où l’amie qui m’accompagnait, professeur de littérature française à Paris et grande férue de théâtre, trouva l’expression juste pour décrire le jeu, le ton et la présence de ces deux comédiens  : « ils sont revigorants! »

© Théâtre Au fil des nuages
© Théâtre Au fil des nuages
Chritina Gumz et Clément Labail se sont rencontrés sur les planches du Lucernaire à Paris.
Elle est allemande, lui est français et tous deux parlent et surtout se risquent à jouer, dans la langue de son partenaire.
Leur projet est donc de mettre en scène et de jouer les mêmes pièces en allemand et en français.
Ils ne revendiquent pas leur démarche linguistique comme une performance théâtrale, au contraire à travers deux langues, l’une familière, l’autre étrangère, ils expérimentent une nouvelle musicalité théâtrale franco-allemande.
Au programme, des lectures mises en scène (Maupassant, Perec, Jean-claude Grumberg, Thomas Bernhard) du café-théâtre, et autres créations scéniques… et quelques soirs quand le rideau tombe, les spectateurs les rejoignent autour d’un verre, afin de poursuivre en allemand et en français,  réflexions ou  autres débats théâtraux.

La Schaubude: Théâtre de marionnettes et d’objets

Ma passion pour les marionnettes qui, un jour, aura ma peau !

Frank Soehnle, marionnettiste issu de la compagnie allemande "Figurentheater" Tünbingen -Schaubude 2008.
Frank Soehnle, marionnettiste issu de la compagnie allemande « Figurentheater » Tünbingen -Schaubude 2008.

Entre le marionnettiste et sa marionnette, qui articule l’autre? Un petit théâtre de marionnette et  d’ombres, se faisant trop discret selon moi.

Les représentations proposées , se divisent en deux catégories:  Une programmation pour enfants en matinée et en début d’après-midi et une programmation en soirée  généralement destinée à un public adulte

 

 

 

 

 


Ne pas sonner avant d’entrer

Mardi, une amie artiste à Berlin me lança dans le vif d’un mail : « Proposition : mercredi, on passe la journée dans la petite cabane recyclée japonaise de la Berliner Festspiele ! » A quoi je répondis abasourdie : « Quoi ? Ah bon ! Ok ! C’est parti pour le Japon ! »

Crédit Photo A.G

Quand artistes, architectes, performers, metteurs en scène, danseurs se jouent des Affaires Etrangères.

Dossiers mouvants et agendas artistico-diplomatiques prennent donc  place dans l’espace de la Berliner Festspiele, dans le cadre du nouveau festival « Foreign Affairs », jusqu’au 26 octobre à Berlin ; le moment est donc à l’exposition, les pensées restent toujours en état d’ébullition, l’ours berlinois a grogné trois fois, le spectacle est commencé.

Pour l’occasion, l’architecte japonais Kyohei Sakaguchi a spécialement créée et implanté temporairement sur le parvis de la Berliner Festspiele,  un petit Mobile Home, qu’il a imaginé puis construit uniquement par le biais de matériaux délaissés, abîmés ou oubliés : fenêtres, planches de bois, poutres, portes, charpentes, radiateurs, bancs… des choses retournées à l’état sauvage, auxquelles l’architecte donne un second souffle de civilité.

Crédit Photo A.G

Comme dit le proverbe japonais «  L’eau prend toujours la forme du vase. »          

Mercredi donc  à la mi-journée, je faisais face à cette petite boîte de bois rectangulaire embrochée en plein cœur dans le grand marronnier séparant  l’Universität der Künste Musik de Berlin et l’espace de la Berliner Festspiele. Les murs ne sont rien d’autre qu’un conglomérat de fenêtres toutes autant orphelines et étrangères les unes des autres, sur le dessus, les branches et les feuilles du marronnier recouvrent, comme un postiche, le toit de la maison. Autour, des badauds l’observent, la photographient, l’ignorent quand soudain cheveux décoiffés, épaules relâchées et chaussures à la main, une petite dame blonde en sortit. Il est 16h quand je franchis à mon tour le paillasson de l’une des quatre portes d’entrée de la maison.

Crédit Photo A.G
Crédit Photo A.G

Ma première impression fut cinématographique. Tu t’essuies les pieds et Bienvenue dans « Vol au-dessus d’un nid de coucou. »                      

Une dizaine de personnes, les  yeux dans le vide, clos, hypnotisés, et reposés  se trouvent à l’intérieur, des hommes, des femmes et même un enfant. Certains sont affalés sur des cousins en plumes, d’autres, en position fœtus, somnolent dans les coins de la pièce sur de longues toiles de jute. Contre le tronc du marronnier, à ma gauche, une femme en position lotus lit, à quelques lattes de plancher de là, sous un piano à queue noir, un homme allongé sur le ventre s’engouffre dans son quotidien Berliner Zeitung. Quant à moi, je tente de combler ma décontenance en faisant la même chose que tout le monde… un air fou sur le visage, je me jette alors corps et âme sur un matelas étendu à même le sol.

Crédit Photo A.G

Au centre de la maison s’impose un Steiway & Son, avec au bout de ses cinquante-deux touches blanches et ses trente-six noires, un homme cheveux proprement coiffés, barbe rasée de près, chemise et pantalon noirs taillés sur mesure et chaussures italiennes aux pieds.

Cet homme est le célèbre pianiste, chef d’orchestre et performer italien Marino Formenti. En collaboration artistique avec l’architecte Kyohei Sakaguchi, le maitre Formenti a décidé de vivre pendant trois semaines, dans ces 60 m2 de bois, à Berlin. À sa disposition, hors vision du spectateur, un petit cagibi renferme un lit, un frigo, quelques étagères, et une plante verte.

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À vue de tous, à gauche du piano, est installée une petite table en bois clair. On y trouve posés là, du thé, des jus de fruits et un tiroir rempli de petits gâteaux italiens destinés à combler fringales et autres petits creux de l’artiste.

Qui veut entendre, entre écouter.                        

Chaque jour, de 11h à 23 h, les portes du nouveau logis de Marino Formenti restent ouvertes. Le pianiste italien y joue sans interruption, 12h d’affilées à son piano,  préludes, sonates et autres variations  de Morton Fedman, Eric Satie, Lang, Gaspard Le Roux … Entre chaque morceau interprété, le pianiste s’attable rituellement un instant pour picorer un biscuit ou pour boire une lampée de café. Puis inlassablement, son chronomètre à la main, il part inscrire froidement sur les murs de la pièce, l’heure exacte et le nom du morceau qu’il vient d’interpréter.

Crédit Photo A.G

Un dernier détour vers sa petite table, la main droite feuilletant une nouvelle partition, la main gauche dans le tiroir à gâteaux ; entre le bruit de deux trois roulés-boulés de marrons sur le toit de sa maison, il retourne impassible, s’asseoir à son piano.

Marino Formenti ne parle pas, ne sourit pas, ne nous regarde pas, il se meut dans cette maison, zigzaguant entre les corps alourdis de spectateurs silencieux. Pendant 12h, tout geste de familiarité ou d’intimité sont filtrés dès l’entrée entre le concertiste et les spectateurs, ici, seul le piano a droit de cité.

Crédit Photo A.G

À l’extérieur, je me demande bien si la vie continue? Je crois…  À  travers les fenêtres, je pense apercevoir des gens du dehors qui nous regardent, nous, gens de l’intérieur. J’entends au loin des sirènes, la police, une ambulance, des klaxons…À deux coins de la pièce sont installées deux caméras qui retransmettent, sur le site internet du pianiste, la performance en direct. Mercredi, de 16h à 23h, j’ai donc pris part  officiellement et visiblement à l’œuvre.  Marino Formenti dit de sa performance qu’elle est « une sorte de Chapelle païenne où vie et musique peuvent ne faire qu’un. »

Je suis donc religieusement restée, pour ne faire qu’une.                                  

Assise, allongée, debout, de 16h à 23h, j’ai vu défiler des artistes venus gratter quelques dessins, des bureaucrates, sacoche sous le bras, entamer une petite sieste réparatrice, des couples allongés « sans-dessus- dessous », des liseurs, des dormeurs, des flâneurs, des mélomanes …  aucun son n’est sorti de ma bouche pendant sept heures. J’ai lu, j’ai écrit, j’ai dormi, j’ai réfléchi, j’ai écouté, j’ai lu à nouveau, j’ai imaginé, j’ai regardé droit devant, je me suis assoupie, j’ai écouté…

Crédit Photo A.G

À 22h45, je suis encore sur mon matelas recyclé Nowhere et j’ai bien cru que nous allions perdre Marino ;  les pages des partitions se tournent plus violemment,  les coudes se plantent sur le piano, les fesses sont endolories et les yeux marqués,  je ne sais plus très bien si je reste  pour le soutenir ou si tout bêtement, je ne me sens pas finalement dans cette œuvre d’art,  un peu comme à la maison…

Kyohei Sakaguchi Mobile Home

Marino Formenti Nowhere : la performance est en directe sur ce site.

Entrée libre jusqu'au 20 octobre 2012

Film How to build a Mobile House

Dimanche 7 octobre 2012, à 18h

Haus der Berliner Festspiele

Schaperstraße 24

10719 Berlin