10 janvier 2013

A votre bunker M’sieur Dame!

Le jour où j’ai raconté ma visite au musée de la Stasi (1) de la ville allemande de Leipzig à mes colocataires allemands, je compris qu’il existait encore des sujets à traiter avec des pincettes : l’Allemagne et son Histoire est l’un d’eux.  

Derrière un certain mutisme,  les Allemands (je ne mets pas tout le monde dans le même panier, il y a des exceptions, surtout générationnelles, je vous l’accorde) expriment souvent une gêne troublée lorsque vous évoquez l’Histoire de leur Pays, cette dernière pouvant quelquefois engendrer au cours d’une conversation, un surplus de « silences » et une suractivité du « vite passons à un autre sujet ».  

Leipzig 2011
Peinture Berlin et le Mur – Leipzig 2011 Crédit Photo A.G

L’Histoire allemande, telle qu’on l’évoque généralement aujourd’hui, se manifeste encore par des émanations délicates que nous pourrions synthétiser sous la forme de deux tangentes. Premièrement « Die Schuldfrage », « la question de la culpabilité », et deuxièmement : une stigmatisation issue du nazisme et de la guerre froide.

Les échos quotidiens d’une mémoire collective, porte-parole du meilleur comme du pire.

Le meilleur : Mes passionnantes discussions avec mes amis allemands sur nos histoires familiales durant les périodes de soubresauts de la Grande Histoire.

Le pire : en mémoire me reviennent quelques commentaires sur l’engouement de l’Allemagne pour  son équipe de foot « la Mannschaft »  durant la coupe du monde de 2006, organisée par l’Allemagne.  En cause les drapeaux de couleurs (noir, rouge et or) qui s’affichaient à tout vent aux quatre coins du pays (comme dans toute nation en compétition, pour ce genre de manifestations footballistiques). Sauf qu’en terre goethéenne, cette exposition sportive avait de-ci de-là ravivé une certaine frilosité à parler sereinement d’un patriotisme et par conséquent, d’un nationalisme en Allemagne.

Gott Warum ? À cause de l’Histoire. 

Des cicatrices historiques qui ont le don de se rappeler épisodiquement à vous.

Pendant deux ans, j’ai habité la rue la plus médiatico-journalistique de Berlin : Axel Springer Strasse (2). Au pied de mon immeuble, sur le trottoir, filait une ligne en pierres foncées et cuivrées,  la trace d’un ancien mur de béton-barbelé, qui aujourd’hui marque ponctuellement et « commémorativement »  le macadam berlinois.  Chaque jour,  cette empreinte figée dans l’asphalte, je l’enjambais pour de faux. Mon immeuble était à l’ouest, arrondissement de Kreuzberg, un pas me suffisait pour passer à l’est, arrondissement de Mitte. J’entretenais souvent l’anodine habitude de garer mon vélo à l’est et de rentrer chez moi à l’ouest.

Axel Springer Strasse 2012 Morgen Post
Axel Springer Strasse 2012 Morgen Post « Agression » commise sur l’Homme qui marchait sur le Mur. Crédit Photo A.G

En face de ma rue, la statue d’un homme allemand marchant en équilibre sur un débris d’origine du mur, alors que  juste dans la perspective de la fenêtre de ma chambre, l’ancien poste de frontières berlinois, Checkpoint Charlie (3) se laissait apercevoir.

Depuis quelques mois, j’ai déménagé, direction Wedding (ancienne zone d’occupation française de Berlin). A deux rues de chez moi, file la Bernauer strasse et ses touristes venant la parcourir. Les images qui rendirent cette rue si  célèbre sont notamment celles de personnes fuyant Berlin-Est, en sautant par les fenêtres de leurs maisons, pour atterrir sur le trottoir en territoire Berlin-Ouest. Les fenêtres de ces maisons furent rapidement murées afin d’éviter des récidives.

Bernauer Strasse Berlin 2012Photo
Bernauer Strasse Berlin 2012 Crédit Photo A.G

Mais comment gérer une telle richesse historique sans pour autant tomber dans le piège à touristes, les visites historiques tape-à-l’œil ou à l’Histoire à trois francs six sous sauce berlinoise ?

Ce serait mentir de dire que ce genre de visite n’existe pas (le Musée de la DDR est selon moi, le pire de ce qui se fait à Berlin) mais ce serait aussi rendre un agréable service que de mentionner qu’il existe l’une des plus impressionnantes visites de l’Histoire allemande, ce miracle se trouve sous terre berlinoise et se nomme Berliner Unterwelten

Association des Mondes Souterrains Berlinois.

Depuis 1997, cette association culturelle à but non lucratif documente, protège et rend accessible le patrimoine souterrain de la ville de Berlin. Grâce à ses activités, de nombreux tunnels de la  Guerre froide, ainsi que des bunkers, abris civils, abris anti-bombardements et antiatomiques datant de la Seconde Guerre mondiale sont aujourd´hui protégés et ouverts au public.

Pourtant à la normale, rien ne m’agace plus qu’une visite guidée pour touristes français, avec guide française. C’est donc l’humeur ronchonne que je suis allée un mercredi après-midi visiter Berlin dans son ventre, au cœur même de ses souterrains.

Nous étions une trentaine de personnes, au point de rendez-vous à quelques pas de chez moi « Entrée du Métro Gesundbrunnen » pour le Tour n°1. À 15h pile, notre guide Laure, gilet fluorescent orange sur le dos et clés en main, ouvrit en catimini une grosse porte en fer, nous y pénétrâmes et descendîmes sagement des escaliers, la porte se referma. Devant nous commençaient alors des kilomètres de souterrains

 Ces visites placent les visiteurs du côté civil.

Une ville en sous-sol  avec ses salles, ses règles, ses drames, ses objets, ses anecdotes… Notre guide, archéologue de métier, qui a elle-même participé à quelques fouilles souterraines à Berlin, a une totale connaissance des lieux, aucune mise en scène inutile de sa part, uniquement les mots d’une passionnée d’Histoire. Les récits et les objets sont rares et pour la plupart méconnus à l’image des explications passionnantes sur « Ziviler Luftschutz des Zweiten Weltkriegs » (protection aérienne civile de la Seconde Guerre mondiale)

Environ 500 000 tonnes de munitions sont tombées sur Berlin,  3 000 d’entre elles n’auraient pas encore explosé.

Ces visites n’exploitent pas futilement ce que la Seconde Guerre et le Mur ont laissé comme traces dans Berlin et globalement en Allemagne,  jamais on ne dérape dans le versant facile de : « la Méchante Allemagne ! » ou dans la complainte amusée du « les pauvres berlinois de l’Est ! ». Au contraire, nous pénétrons avec justesse au sein même d’une époque et d’un contexte spatio-temporel qui ont engendré l’état d’esprit et le destin d’un pays et de ses citoyens. N’oublions pas que marcher dans les rues de Berlin, c’est aussi marcher au-dessus d’une ville souterraine.

Abris civiles Gesundbrunnen Berlin Unterwelten e.V © Dietmar Arnold
Abris civiles Gesundbrunnen Berlin Unterwelten e.V
© Dietmar Arnold

Conseils pratiques :

Le Tour nº 1 est la visite d’un bunker authentique de la seconde guerre mondiale au plein cœur du centre-ville de la capitale allemande.

Le Tour n°2 est la visite de deux des sept étages d’origine du plus complexe Bunker de Berlin.

Le Tour n°3 dévoile les traces laissées par la Guerre froide dans le sous-sol berlinois. Durant cette période, d´anciens bunkers furent secrètement réactivés et de nouveaux abris furent construits à Berlin-Ouest dans l´éventualité d´un conflit nucléaire.

Le Tour M : Après que le régime est-allemand ait ordonné l´édification du Mur de Berlin, beaucoup de civils ont tenté, au péril de leur vie, de franchir cette frontière à travers des tunnels creusés dans le sol sableux de la ville. Le premier tunnel a été creusé dès novembre 1961, le dernier en 1982. Il y a eu au total plus de soixante-dix tunnels, seulement 20% d´entre eux ont été couronnés de succès. Ils ont permis à plus de 300 citoyens de la RDA de fuir vers Berlin-Ouest

  • Budget de 10€ (cash) –  90 ou 120 minutes de visite selon les tours.
  • Être habillé chaudement, les casques sont fournis par l’association.
  • Les différents tours se font en plusieurs langues avec des guides professionnels.
  • Des visites privées pour des groupes peuvent être envisagées, pour se faire, contacter l’association.

Pour de plus amples informations, l’association met à votre disposition un site Internet très détaillé et en plusieurs langues. 

(1) Le ministère de la Sécurité d’État (Ministerium für Staatssicherheit, MfS), dit la Stasi, était le service de police politique, de renseignements, d’espionnage et de contre-espionnage de la République démocratique allemande

(2) Axel Springer, né le 2 mai 1912 à Hambourg et décédé le 22 septembre 1985 à Berlin Ouest est un magnat de la presse allemande et fondateur de la maison d’édition Axel Springer.

(3) A partir du 22 août 1961, le poste-frontière «Checkpoint Charlie» devint le point de passage pour les membres des forces alliées américaines, britanniques et françaises stationnées à Berlin et désirant se rendre à Berlin-Est. Les touristes étrangers pouvaient y obtenir des renseignements sur les séjours à Berlin-Est.

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Commentaires

serge
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très bel article , riche en détails..
merci