19 janvier 2014

Attention! Livre nerveux !

Chers critiques littéraires, 

(Chers critiques littéraire, N’ayant jamais parvenu à faire comme vous, j’ai donc pris l’initiative de faire autrement.)

Renégat : Personne qui a abandonné, trahi ses opinions, sa religion, son parti.

ACHTUNG ! ACHTUNG ! La littérature allemande a en son sein un écrivain dont je découvre trop tardivement le talent (HONTE A MOI !). Un écrivain dont nombreuses maisons d’éditions allemandes avoueraient dès 1990, s’être discrètement, piquées de la fourchette, entre deux coins de table pour avoir le plaisir d’éditer ses premiers romans. Un écrivain dont j’ai souvent entendu dire qu’il fallait de la hargne et un goût combatif pour rentrer et rester dans cette nouvelle littérature stylistique qu’il propose. Un écrivain qui s’adonne à un genre peu commun en littérature germanique, « le roman sur la ville ». Un écrivain aussi, dont je me suis résignée à prononcer correctement prénom et nom : Reinhard JIRGL, l’écrivain c’est lui.

Le jour où j’ai occasionnellement troqué la madeleine proustienne pour la saucisse jirlienne. 

Ce roman : Renégat, roman du temps nerveux est une sorte de Berlin Alexanderplatz d’Alfred Döblin à la sauce post-moderne. Le souvenir et la représentation de la ville de Berlin sont au cœur de ce roman allemand avec en filigrane la matrice d’une interrogation toujours en exercice au pays teuton : Comment  après la chute de son mur, un pays comme  l’Allemagne et une ville comme Berlin se reconstruisent une nouvelle façon d’être et d’apparaître? (Tatinnnnn! Problématique je te tiens !… Méfiez-vous lecteurs, il se cache dans ce livre, bien plus encore que cette niaiseuse question à l’effet ramolli, c’est tout le contraire.)

Des réticentes?  « Allemagne », « mur » et « reconstruire », ne me bougonnez pas un ronchon : « Encore ! Un livre sur l’après chute du mur de Berlin,  sur l’Est-Ouest, sur la faucille et le coca … ! » Que nenni, car ce n’est ni « pas » ni « du tout », ni « pas du tout » cela !   C’est plus que ça ! Ce roman, c’est de l’exotisme magnétique allemand qui s’ignore !

Dans le fond, deux trames élémentaires se superposent :

D’un côté, l’histoire d’un journaliste dépressif  et alcoolique (rien de très original pour le moment !) qui tente de se soigner auprès d’une thérapeute, dont il va s’amouracher, au point de quitter Hambourg pour la rejoindre à Berlin.

De l’autre côté un féru de philosophie, ancien garde-frontière d’une Allemagne divisée jusqu’en 1989 qui, une fois la réunification en marche,  empoigne le volant et devient un chauffeur de taxi berlinois. Coup d’œil rapide dans le rétroviseur intérieur sur une jeune ukrainienne rencontrée sur la route  et roule ma poule.. (Bref, une histoire à la  You talking to me quoi !)

Entre ces deux histoires emmêlées se dresse un  portrait contemporain de Berlin, une ville qui s’incarne ici telle une plaie qui n’aurait de cesse de s’entêter à rester ouverte… …. AUTO-CONGRATULATION! (Par cette mi-métaphore, mi- comparaison godiches, mettrais-je fin ici à ma quête du Graal faussement stylistique, en égalant le maître, Eric Emmanuel Schmitt ?)  MAZETTE ! 

Dans la forme : une écriture et une prose moléculaire où se succèdent avec art, l’étonnement et l’inattendu que produit au corps et à l’esprit la sensation du trébuchement.  (Oui, vous pouvez relire, mais j’ai bien écrit « Prose moléculaire » ça doit se dire et pour ceux qui l’auront compris, ça veut dire beaucoup!)

Alors que de son côté, Reinhard JIRGL n’a de cesse de trébucher sur le totalitarisme,  la fracture des générations, la détérioration des familles,  la désintégration de la mère patrie…

Du côté lecteurs, nous avons, nous aussi, de cesse de trébucher sans relâche, les yeux cabossés par des  mots, des phrases, et des pages qui déconstruisent en rafale, la norme littéraire, et ce, pour  se remodeler  sans limite formelle.

L’auteur, le traducteur et le lecteur chutent en chœur, à l’unisson, la tête la première dans une œuvre littéraire stylistiquement sans fin. 

Avec ce roman de 520 pages, Reinhard JIRGL construit un livre qui trouve une valeur d’objet désarticulé, détourné et décomposé. L’auteur égraine de-ci de-là des pages qui se substitueraient presque au modèle de l’Internet avec des liens, des rappels à suivre sur d’autres pages, des encadrés renvoyant à des explications philosophiques, des citations, ou des définitions brutales par leurs formes, des jeux typographiques…

JOIE ! Par le biais d’une ponctuation et d’un graphisme codé – que vous lecteurs, vous décoderez très vite rassurez-vous –  Reinhard JIRGL donne à voir et à entendre une réinterprétation nouvelle de l’écrit et du langage.  J’oserai dire que l’auteur entend écrire ici une langue étrangère à sa propre langue, COUACS! 

Qu’il est bon, courtois et entraînant de laisser au lecteur la part précieuse qu’est celle de forger sa lecture.  La présentation et la mise en forme du texte ne sont pas si évidentes, je ne vais pas vous mentir, mais qu’il est enivrant de sentir qu’un livre et son auteur vous donnent à voir noir sur blanc, des mots et des phrases sous forme de boutures, de coutures et de rafistolages.  Vous extirperez plus d’idées dans une phrase de R. JIRLG que dans nombreux autres romans.

Extraits :

P.76 : « Ma Premièrenuit ici=dans le Nouvel Appartement, rempli de rêves à l’instar du Sommeiléternel – :?Tout=monvécu jusque-là ?n’aurait-il été ? qu’un rêve-. »

« diktateurs-du-crève-corps=asocial »

« ; car chac 1 fabrique à partir de soi la pierre qui à coup sûr le touchera la moment=venu. »

Cette œuvre est aussi nerveusement intelligente, précisément dans la part d’engagement que l’auteur offre au traducteur, ici Martine Rémon, puisque nous découvrons une forme structurale de la phrase et du mot à la française complètement désarticulés ayant pour genèse des mots allemands eux aussi disloqués.

Entre vous et moi, quand on sait déjà la distorsion cérébrale que demande la traduction d’un simple mot allemand en français, je me dis qu’il faut de la hargne de traducteur pour réaliser une telle gymnastique sur plus de 500 pages. MÉCHANTE!

J’HÉSITE! Martine, la traductrice, aurait-elle le cortex et l’air de Broca différent du commun des mortels ou n’a-t-elle pas tout bonnement le cran de ces êtres-traducteurs pour qui, la traduction du plus long mot allemand soit : Rindfleisch­etikettierungs­überwachungs­aufgaben­übertragungs­gesetz (1), ne serait qu’une activité routinière.  MAGIQUE! (1)Loi sur le transfert des obligations de surveillance de l’étiquetage de la viande bovine.

Parce que je ne suis pas critique littéraire et parce que j’ai concrètement lu ce livre jusqu’à la dernière page, quatrième de couverture et non de l’imprimeur inclus,…. Je confesse qu’il m’aura fallu 4 mois et demi pour mettre fin à la lecture de cette œuvre. SACRE ! De nombreuse fois, je reposais ce gros pavé pour d’autres romans, sans savoir vraiment si cet acte était fait par nécessité, afin de m’octroyer quelques pauses récréatives via un Marc Lévi ou un Anna Gavalda, mes TF1 à moi, mon temps de cerveau disponible pour apprécier amplement la jouissance que produit le retour dans un ovni littéraire tel .Mais n’ayez crainte, ce livre est monumental aussi dans la possibilité nerveuse qu’il transmet au lecteur, que jamais il ne l’achèvera.

Avec son second roman : RENGART ; roman du temps nerveux, ce gratte papier teuton qu’est Monsieur Jirgl démontre qu’une belle écriture peut radieusement être rugueuse, gratteuse ou racleuse  quitte à rendre son lecteur nerveusement captif et captivé. 

Biographie : Reinhard Jirgl est né en 1953 à Berlin-Est. Entre 1978 et 1995, il travaille comme technicien au théâtre Berliner Volksbühne où il a été ingénieur en électrotechnique, avant de travailler comme technicien éclairagiste. Il faudra attendre la chute du Mur en 1989 et la fin de la censure d’État de l’époque pour que ses œuvres soient rendues publiques. Depuis1996, il vit de sa plume et réside toujours à Berlin. Lauréat du prix Georg-Büchner en 2010, ainsi que les prix Alfred-Döblin et Josef-Breitbach, il est l’auteur des Inachevés (Quidam 2007).

Renégat, roman du temps nerveux de Reinhard Jirgl publié en 2005 en allemand et publié en France en 2010 (traduction de Martine Rémon).

 

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Commentaires

serge
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Quel courage d'affronter un tel livre. Il invente un genre... tout ça me rappelle josé saramago seul auteur en langue portugaise à avoir remporté un prix nobel de littérature. Ce portugais écrivait sans placer la ponctuation dans ses textes... bon courage! Je ne sais pas, je me demande si c'est respecter ses lecteurs... dans le cas du portugais cela me paraissait une espèce d'élitisme malgré le fait que le gars était profondément marxiste.

aurora
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Je vais m’intéresser à José Saramago! Après je te suis pas vraiment quand tu parles d'élitisme; particulièrement dans des domaines comme la littérature, le théâtre, la danse... je déteste ce mot et ce qu'il croit vouloir dire. On ne doit jamais amoindrir la capacité de chacun à comprendre. Avec ce livre, l'auteur joue avec un mécanisme nouveau qui redonne aux mots, aux phrases et à la structure même d'un livre, un effet brut qui ne peut qu'intéresser le plus grand nombre.
En tout cas, toujours un plaisir de lire tes commentaires Serge !