7 novembre 2013

Goodbye, Berlin

Demain matin et les suivants, je ne me réveillerai plus à Berlin. Contrairement à la légende qui court aux quatre coins du monde, à Berlin, nous ne faisons pas qu’y débarquer et s’y installer, nous ne faisons pas qu’y vivre, avec dans ses cheveux le vent de tous les  possibles.  Pas que… On en repart un jour aussi, à dos de courant d’air, le galop décidé, entre l’Alexanderplatz et  l’aéroport Berlin-Schönefeld.

Graff Berlin – © A.G

Wie bitte ? (Comment ?)

Il y a quatre ans et demi je suis tombée sur Berlin, comme on tombe en amour. Je mettais les pieds dans sa neige  pour la première fois, au mois de décembre 2008,  dans le cadre d’un stage de fin d’études. J’avais 27 ans  et un culot monstre, quand, sans rougir, je mentis à mon futur maitre de stage franco-allemand en lui affirmant que la langue de Goethe n’avait aucun secret pour moi: « jajaja Ich spreche Deutsch ! Kein Problem ! » Le soir même de cette déclaration alambiquée et surtout faussaire, ma tête et ma langue plongèrent tout droit, et pour la première fois, dans le seul et unique livre d’allemand de ma bibliothèque.

Le temps a filé trop vite, je n’étais qu’à la lettre F de mon livre : Apprendre l’allemand de A à Z, quand trois semaines plus tard, je me retrouvais à l’aéroport national de Bruxelles, mon sac de voyage sur le dos, sans le moindre vocabulaire allemand en bouche. Une heure et demie après j’atterrissais dans la capitale allemande.

C’était loin d’être la première fois que je partais, pourtant mon cœur battait vite, tellement, et il a quasi battu à ce rythme pendant quatre ans.

Mon stage achevé, j’y suis revenue le plus vite possible, un mois et demi après, plaquant sur le sol de ma ville belge d’adoption Bruxelles : mon boulot, mes contacts professionnels, mon appartement, mes  amis… Je laissais tout pour mon nouvel amour, celui qui sentait si bon la saucisse au curry : Berlin Wilkommen zu Hause ! (Bienvenue à la maison !)

Rien ne sert de courir, il faut partir à point

Octobre 2013, le même trajet est à refaire, en sens inverse et sans retour. Berlin, je parle ta langue  et tes habitudes sont devenues miennes. Je t’ai marché dessus de jour comme de nuit, pieds nus, emmitouflée, en béquilles,  en titubant. Je t’ai couru dessus en talons hauts, en baskets, en aimant et en diffament,  un vélo sur le dos, ivre, joyeuse, pleurant, perdue,heureuse, gelée, énervée.

J’ai visité tes souvenirs, ton Histoire, tes histoires, tes monuments, tes cicatrices, tes horribles, tes merveilleuses …

Mauerstrasse, Mur de Berlin © Aurore Guérin
Mauerstrasse, un reste du Mur de Berlin © A.G

J’ai traîné dans tes bars, tes restaurants, tes clubs, tes rues, tes boulevards, tes Späti, tes coins et tes recoins. J’ai habité chez des amis, chez moi, dans des collocations. J’ai plissé mes yeux sous les néons de tes supermarchés, tes aéroports et tes galeries d’art.

J’ai travaillé chez toi, j’ai chômé chez toi, j’ai créé chez toi, j’ai été virée chez toi, j’ai retravaillé chez toi,  toi, toi, que toi, partout. Chez toi, j’ai cherché, j’ai trouvé, j’ai perdu, j’ai cru, j’ai désespéré, j’ai adoré, j’ai délecté et un jour même j’ai eu l’effronterie de me dire que tout ça, désormais me passait par-dessus la tête.

Berlin je te quitte, je te laisse planter là, parce que les choses qui me faisaient vibrer chez toi sont devenues des habitudes qui m’ankylosent, parce que notre histoire n’a plus le même goût, parce que je n’ai plus l’étincelle aventureuse de celle qui aime.  Berlin, je te quitte comme je suis venue, avec la même allure, sur un coup de tête. Berlin auf Wiedersehen ! Tschüss ! Tschüssi ! Adieu !

Aujourd’hui je ne me réveille plus dans le Berlin made in Germany mais dans le creux du ventre de là où je suis née, retour en France momentanément.

Berlin, même de loin, ma bouche porte encore le goût sucré de tes Berliner, Berlin même ailleurs, je te souris encore.

Ich « war » ein Berliner. Par ce billet, je rembobine la bande de tes sons et celle de tes images.

En me souvenant,  j’écarterai les bras de toute leur longueur dans l’immensité de ton Kufürstendamm. Je chercherai tête en l’air, la pointe de ton Alexanderplatz. C’est la démarche chaloupée, branchée et bohème que j’humerai ton Prenzlauer Berg, j’emprunterai l’énormité de ton Tiergarten, je courrai  aux fesses de tes lapins, je nourrirai tes écureuils, je croiserai tes renards, j’irai faire la française hautaine au gourmet de tes Galeries Lafayette,  je longerai les restes de ton mur, je plongerai dans ta Spree, c’est métaphorisée en Hipster que je glanderai dans les rues de ton Kreuzberg, je boirai tes bières Berliner Kindl, Astra, Paulaner Weisse…et terminerai par quelques gouttes de ton Jägermeister, je débattrai dans les bars de ton Neukölln, je titillerai le diable de ta Teufelsberg, je croquerai dans les Döner de tes quartiers turques, je trottinerai sous les tilleuls de ton Unter den Linden,  je grimperai sur ta petite colline d’histoire de ton Humboldthain, je redonnerai la couleur rouge à mes joues sur les pistes de ton Tempelhof, je m’endormirai dans tes buissons, je relirai le totalitarisme et la modernité d’Hannah Arenth dans ta rue qui porte son nom, j’irai dans ton Est et dans ton Ouest, je me courberai  dans tes tunnels, je m’isolerai dans tes ex-bunkers et abri-aériens, je supporterai ton équipe de foot, ta Mannschaft sur ta Strasse des 17.juni, je poserai le pied sur tes Stolpersteine(1) ,  j’éviterai les pirates pour rejoindre ton Île des musées, je sauterai à cloche pied au-dessus de tes Kindergarten (jardin d’enfants),  je fixerai du regard le Buste de ta Néfertiti,  je m’assiérai dans tes cinémas, je pesterai sur les touristes amassés devant ton Checkpoint Charlie, je me perdrai dans le gris de ton Mémorial de l’Holocauste, je lirai dans tes bibliothèques,  je ferai face à ton Reichstag pensant que je n’ai  toujours pas gravi sa coupole, je croiserai ta chancelière à la caisse du supermarché Ullrich de Mitte, je prendrai tes Ubahn (métro) à toute heure du jour comme de nuit, je trinquerai avec tes habitants dont certains sont devenus mes amis, je me baignerai dans les lacs de ton Weißensee, j’écouterai jouer mon guitariste au bord de ton canal, je danserai sur les toits de tes immeubles, je m’abasourdirai de vin chaud dans tes marchés de Noël, je m’émotionnerai dans ton Philharmonie, je chanterai à ton karaoké, je chinerai dans tes brocantes, je ferai le mur dans ton Mauerpark, je trépignerai au son de tes feux d’artifices…

L’étranger d’Albert Camus

Quand  Meursault reçut comme proposition de son patron de partir d’Alger pour aller travailler au bureau qui allait s’ouvrir à Paris, Albert Camus écrivait : […] « Il m’a demandé alors si je n’étais pas intéressé par un changement de vie. J’ai répondu qu’on ne changeait jamais de vie, qu’en tout cas toutes se valaient […]  » Immensément grande, donc, restera la valeur de ma vie berlinoise !

Chanson de Marlene Dietrich  Das ist Berlin

Berlin
(1) Plaques en laiton qui honorent la mémoire d’une victime du nazisme. Encastrées dans le trottoir devant le dernier domicile des victimes – Berlin – © A.G
Reichstag - Berlin -
Reichstag – Berlin – ©A.G
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Arena-Berlin Club der Visionaere © A.G
Berlin Badeschiff
Berlin Badeschiff © A.G
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MauerPark Berlin ©A.G
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Berliner Dom ©A.G
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Quartier de Kreuzberg ©A.G
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Checkpoint Charlie – Berlin – ©A.G
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Quartier Mitte – Prenzlauer Berg – ©A.G
My beautiful picture
Holocaust Memorial – Berlin – ©A.G
Tachales ancien Squat berlinois fermé en 2012 ©A.G
Aéroport Tempelhof – transformé en parc public ©A.G
graffs de Blu dans Cuvrystraße – Berlin – ©A.G

 

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Commentaires

Labail
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Salut Aurore, je cherchais un article sur le web concernant "Hölderlin - Castellucci", et je tombe sur ton blog... où je me ballade à nouveau et découvre dans ce beau texte que tu as quitté Berlin. Bonne continuation à toi ! ... je vais maintenant lire ton article sur ce spectacle (pas encore vu). Amitiés. (et encore merci de ton intérêt pour notre travail !)

aurora
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Merci Clément, c'est plaisant ce petit message. Très bon spectacle de Castellucci et si ce n'est pas fait, je te conseille ce texte de Friedrich Hölderlin.
Oh, c'est normal, toujours s’intéresser et parler des bons projets! Au sujet "du tour en vélo" je vous recontacterai.
Amitié à Christina !

Baba MAHAMAT
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Merci pour ce partage avec nous
J'ai lu et relu le billet plusieurs dois et tu m'as fait decouvrir mes premiers allemands. J'espère de tout mon coeur foulé le sol allemand un jour
Merci encore

aurora
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Merci pour ce message! J'espère que tu te portes bien.
à bientôt peut-être dans l'aventure Mondoblog ou qui sait sur le sol allemand !

Mylène
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Quel bel au revoir ! Je ne suis jamais allée à Berlin, je ne sais pas vraiment pourquoi... Mais là tu m'as donné envie d'y aller faire un tour, de visiter le Quartier de Kreuzberg notamment. Et puis, tu as fait ressurgir en moi cette nostalgie que l'on ressent lorsqu'on quitte une ville, un endroit, que l'on aime. Drôle de sentiment...

aurora
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Merci ! Comme tu le dis très justement, on a tous connu plusieurs fois ce genre de sentiment de détachement par rapport à un lieu, un pays, une ville...
Je t'embrasse et j'espère que tu te portes bien.

Pascaline
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Les amis backpackers, là, vous m'émouvez avec ces histoires de départs. Aurore ton texte est très touchant, surtout quand on connait cette nostalgie là, de quitter une ville, un pays d'adoption pour s'en aller vers d'autres aventures. Cette nostalgie qui rend les moments que l'on a passé si uniques et encore plus précieux. Mais qu'est-ce qu'elle est dure aussi cette nostalgie, elle nous fait parfois détester notre propre pays, tant on voudrait être ailleurs, et nous embarque dans le cycle infernale des voyageurs... Bonne nouvelle aventure, et Aurore, si l'envie de prend de venir te recueillir aux pieds de la Bonne mère avant que d'autres terres d'accueil viennent t’accueillir (ou m’accueillir?!!!), qui sait de quoi demain sera fait... !

aurora
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Je rougis, tous vos messages sont tellement bienveillants.
Alors Pascaline, tu as tout juste! Le prochain billet parlera justement de ce retour dans son propre pays!
"Qui sait de quoi demain sera fait... !" comme tu dis, mais une chose est certaine toi tout comme moi on fera tout pour qu'il soit fait de voyages!

Merci ma belle

Stéphane Huët
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Simplement magnifique. C'est touchant, sans cet excès de nostalgie propre aux départs. C'est sincère, sans l'amertume des ruptures.

aurora
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Mille Merci ! Enfin je veux dire: Mille Danke !

Limoune
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J'aime ce texte et son écriture subtile. Sans même l'avoir vu, je suis presque tentée de tomber en amour avec Berlin

aurora
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Oh oui !!! Mais Berlin est un amour de ville mais on ne vit pas toujours avec son amour!
Et moi j'ai de plus en plus envie de venir faire un tour là où tu es actuellement!
J'espère que tu te portes bien! Je t'embrasse !

Berliniquais
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Très beau et très émouvant billet! Dommage que tu t'en ailles... moi qui suis parti (temporairement hein), et qui me languis de ma Hauptstadt depuis Paris, j'en attrape le cafard de voir ces images si familières.

En tout cas c'est super que tu t'en ailles le coeur si léger, et pas contrainte et pleine de regrets. En fait, tu es la femme aux semelles de vent ? ;-)

Je ne me sens pas étranger à Paris, la ville n'a pas beaucoup changé, et moi non plus. Mais la magie n'y est plus. Il y a quelque chose de cassé entre Paris et moi. Il me faut, c'est sûr, rentrer à Berlin, jusqu'à ce que m'en lasse comme toi, si on peut concevoir que cela arrivera...

aurora
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Merci pour ce message!
Je t'avoue que j'ai déjà un aller-retour pour les fêtes de fin d'année!!! Ah la "Mama Berlin mag Stein und Benzin" comme chante Peter Fox, on ne s'en détache pas facilement!

Je t'embrasse
La femme aux semelles de vent

Berliniquais
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Et moi, comme dirait l'immortelle Marlene, "Ich hab noch einen Koffer in Berlin".

Hey, si tu es à Paris, rencontrons-nous! Déjà qu'on s'est loupé à Berlin...

:-)

aurora
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Je ne suis pas sur Paris pour le moment, mais ça pourra arriver! Je te redis.
Et qui sait on se recroisera peut-être à Berlin autour d'une bonne assiette de tomates basilikum ...

Serge
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Tu sais, je redoute toujours le jour où je serai obligé de quitter le Brésil... Quand on passe autant d'années loin de chez soi, on devient un étranger dans son propre pays, mais on l'est autant dans son pays d'accueil.
L'avantage avec le Brésil (je parie aussi que c'est le cas avec les Etats Unis) c'est que le pays est immense, donc, on peut vivre à Récife, puis à São Paulo, ensuite à Curitba et enfin à Porto Alegre, et on aura l'impression d'avoir vécu dans 4 pays voir 5 différents. En Allemagne ou en France, je dévine que la culture n'est pas si disparate selon les régions...
:)
De quoi parleras-tu maintenant sur ce blog?

aurora
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Exactement! Mine de rien on se fait caméléon !
Ma vie donc mon blog ne s'arrête pas parce que je ne suis plus sur Berlin! Affaire à suivre ...
Tu peux me répondre en privé, mais tu as envie de partir du Brésil ? Une idée de nouvelles destination? Un retour ? (>_0)
Aller je t'embrasse Serge !
A+