11 novembre 2012

Mac Do ou Macbeth ?

Le propos de ce billet est encore théâtral. Sa problématique est volatile : le spectateur a-t-il condamné le théâtre ?  Je vous entends déjà hurler la bouche en trou de puits et les yeux révulsés en hibou perché « Oh la lala …Le Théâtre ! » Mais il y a des jours comme ça où une question aussi accessoire, inutile et inintéressante  qu’elle semble l’être, (tout est question de point de vue), m’envahit tellement qu’elle doit sortir de moi-même par un moyen ou un autre.

7 mai 2005, Bruges, Belgique – des volontaires posent nus pour le photographe Spencer Tunick. © Reuters / Peter Maenhoudt

En 2009, l’imitateur Patrick Sébastien jouait au théâtre dans une pièce au nom macropodidé : « Kangourou ». Et la semaine dernière, qui vois-je en interview au journal télévisé de France 2 ?   Le chanteur « jazz-suzette » Dany Brillant, venu vendre son morceau de lard, non je veux dire son morceau d’art, une pièce théâtrale au titre navrant « Mon meilleur copain », (61€ la place, je dis ça mais je dis rien !) On parle d’eux comme des comédiens, ce qu’ils jouent, s’appelle aussi Théâtre et grande nouvelle, à la fin de ces représentations,  beaucoup de spectateurs se diront bêtement soulagés d’avoir  été au théâtre et d’avoir tout compris… Mais c’est quoi ce bordel, je m’excuse je veux dire : Mais qu’est-ce que ce bric-à-brac !

« J’ai rien compris !» Jeudi dernier, à Berlin, j’ai assisté à la Première de « The four seasons restaurant » du metteur en scène italien Romeo Castellucci. Une heure de représentation théâtrale telle, engendre quelquefois  des jours et des jours de belles ruminations mentales. Mais faut-il encore savoir pourquoi nous venons au théâtre ?

La pièce de Romeo Castellucci s’achève. Les deux premières rangées d’oignons de journalistes s’auto-attribuent le droit de s’exonérer  des applaudissements, pendant que l’état psychique et physique du spectateur,  en fin de séance castellucienne, expulse souvent des applaudissements ramollis.

Personnellement, mon baromètre d’engouement est simple, à la minute même où je quitte mon siège, mon appréciation d’une pièce de théâtre se jauge à mon comportement; Mauvaise: je débats, agacée, la langue pendant jusqu’à m’assécher de salive. Bonne : je suis à la fois une carpe muette et un lapin aveuglé par les phares d’une voiture, tâtonnant de la main le zinc du bar le plus proche.

Et il y a aussi des soirs d’après théâtre comme celui-ci même, où le concentré de certaines phrases de spectateurs peuvent laisser un arrière-goût âpre qu’on irait bien cracher un peu plus loin.

La question mortelle ?

_ « T’as compris quelque chose ? »

L’exclamation crucifiante :

_ « Moi, j’ai rien compris ! »

L’affirmation perdue :

_ « Alors, j’ai beau avoir lu deux fois le programme, je ne vois pas le rapport avec la pièce ! »

Une improbabilité m’a sauté à la gorge sans crier gare : il me semble, non pas que le théâtre perd son spectateur (quoique mais c’est une autre histoire) mais c’est le spectateur qui a perdu l’habitude du théâtre.

Alors je vous entends à nouveau rugir d’agacement des redondances faussaires : « Les intellectuels du théâtre sont prétentieux dans leur milieu fermé de théâtreux, où des initiés  gargarisent leurs pensées. Mais vous allez voir, la blogueuse théâtreuse, elle va dénigrer le théâtre populaire du présentateur qui fait tourner les serviettes, et rajouter  que le cinéma et la télévision ont dévitalisé le théâtre,  en offrant une compréhension, une intellectualisation et un déchiffrement bouillis, et pré-mâchés à un spectateur de théâtre du coup décomplexé. »

Non, elle n’écrira pas ça la blogueuse car la conception du spectateur complexé au théâtre et toutes ces théories auxquelles elle ne croit pas, elle les laisse à d’autres, mais par contre, elle va prendre à bras le corps les points pour les remettre sur les « i », quitte à se donner des airs d’intellectuels, de donneuse de leçon à la mordsmoi-le-nœud. Je me risque à tout, même à ça, il y a une base théâtrale à reprendre pour ne plus entendre des incongruités malheureuses de spectateurs, surtout et avant tout quand la pièce est d’une qualité sensorielle et visuelle sans comparaison, Grazie mille Castellucci ! Je vous préviens, ça va parler théorie théâtrale simplifiée, la  rabat-joie  va faire sa morale,  je serai brève, mais quand il faut que ça sorte…

Mains jointes et genoux sur le prie-Dieu ! Quand je suis au théâtre, je me formule toujours silencieusement une prière qu’un sage sémiologue (1) du spectacle vivant m’a un jour transmis : « au théâtre on ne fait que « croire », c’est de la « dénégation », c’est-à-dire  un régime de croyance au spectacle sur le mode du : je sais bien que ceci, n’est pas réel mais j’y crois comme si ça l’était. » Amen !

Spectateurs paresseux s’abstenir. Je m’explique : Les « savoirs » du spectateur et la conscience qu’il a d’être dans un espace spectaculaire où la réalité est transformée, rejetée pour être réinjectée différemment à travers un contrat de lecture installé tout au long de la production du spectacle, constitue la base du travail sur laquelle peut s’articuler la construction du sens.

Spectateur! Il est donc temps de retrouver ton émancipation et d’affirmer ta capacité de voir ce que tu regardes et de savoir quoi en penser et quoi en faire!  Quand l’ouvreuse  déchire votre billet, vous entrez dans le cérémonial, tout ne sera plus que théâtre, vous jouez votre rôle de spectateur et la magie théâtrale se produit ; Aller au théâtre ce n’est pas faire acte de présence mais d’expérience et quelquefois savoir profiter du moment de grâce, où le théâtre produit du Beau juste pour le Beau, si vous voyez ce que je veux dire … Après, il y a des peines perdues, des mises en scène insupportables, irrécupérables où même le plus pédant de mes conseils lambda n’y changera rien, dans ce cas-là, je vous dirais juste qu’avant de foutre le camp,  ayez quand même une ou deux bonnes critiques justifiées sous le coude (autre que « j’ai rien compris ! »), histoire de défendre votre rôle de spectateur émancipé.

(1) Etude de la manière dont les différents systèmes de signes permettent aux individus et aux collectivités de communiquer.
Théorie des signes, de la manière dont ils fonctionnent, de leur sens.

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Commentaires

serge
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tu ferais mieux d'aller voir Dieudonné... ;)