Goodbye, Berlin
Demain matin et les suivants, je ne me réveillerai plus à Berlin. Contrairement à la légende qui court aux quatre coins du monde, à Berlin, nous ne faisons pas qu’y débarquer et s’y installer, nous ne faisons pas qu’y vivre, avec dans ses cheveux le vent de tous les possibles. Pas que… On en repart un jour aussi, à dos de courant d’air, le galop décidé, entre l’Alexanderplatz et l’aéroport Berlin-Schönefeld.
Wie bitte ? (Comment ?)
Il y a quatre ans et demi je suis tombée sur Berlin, comme on tombe en amour. Je mettais les pieds dans sa neige pour la première fois, au mois de décembre 2008, dans le cadre d’un stage de fin d’études. J’avais 27 ans et un culot monstre, quand, sans rougir, je mentis à mon futur maitre de stage franco-allemand en lui affirmant que la langue de Goethe n’avait aucun secret pour moi: « jajaja Ich spreche Deutsch ! Kein Problem ! » Le soir même de cette déclaration alambiquée et surtout faussaire, ma tête et ma langue plongèrent tout droit, et pour la première fois, dans le seul et unique livre d’allemand de ma bibliothèque.
Le temps a filé trop vite, je n’étais qu’à la lettre F de mon livre : Apprendre l’allemand de A à Z, quand trois semaines plus tard, je me retrouvais à l’aéroport national de Bruxelles, mon sac de voyage sur le dos, sans le moindre vocabulaire allemand en bouche. Une heure et demie après j’atterrissais dans la capitale allemande.
C’était loin d’être la première fois que je partais, pourtant mon cœur battait vite, tellement, et il a quasi battu à ce rythme pendant quatre ans.
Mon stage achevé, j’y suis revenue le plus vite possible, un mois et demi après, plaquant sur le sol de ma ville belge d’adoption Bruxelles : mon boulot, mes contacts professionnels, mon appartement, mes amis… Je laissais tout pour mon nouvel amour, celui qui sentait si bon la saucisse au curry : Berlin Wilkommen zu Hause ! (Bienvenue à la maison !)
Rien ne sert de courir, il faut partir à point
Octobre 2013, le même trajet est à refaire, en sens inverse et sans retour. Berlin, je parle ta langue et tes habitudes sont devenues miennes. Je t’ai marché dessus de jour comme de nuit, pieds nus, emmitouflée, en béquilles, en titubant. Je t’ai couru dessus en talons hauts, en baskets, en aimant et en diffament, un vélo sur le dos, ivre, joyeuse, pleurant, perdue,heureuse, gelée, énervée.
J’ai visité tes souvenirs, ton Histoire, tes histoires, tes monuments, tes cicatrices, tes horribles, tes merveilleuses …
J’ai traîné dans tes bars, tes restaurants, tes clubs, tes rues, tes boulevards, tes Späti, tes coins et tes recoins. J’ai habité chez des amis, chez moi, dans des collocations. J’ai plissé mes yeux sous les néons de tes supermarchés, tes aéroports et tes galeries d’art.
J’ai travaillé chez toi, j’ai chômé chez toi, j’ai créé chez toi, j’ai été virée chez toi, j’ai retravaillé chez toi, toi, toi, que toi, partout. Chez toi, j’ai cherché, j’ai trouvé, j’ai perdu, j’ai cru, j’ai désespéré, j’ai adoré, j’ai délecté et un jour même j’ai eu l’effronterie de me dire que tout ça, désormais me passait par-dessus la tête.
Berlin je te quitte, je te laisse planter là, parce que les choses qui me faisaient vibrer chez toi sont devenues des habitudes qui m’ankylosent, parce que notre histoire n’a plus le même goût, parce que je n’ai plus l’étincelle aventureuse de celle qui aime. Berlin, je te quitte comme je suis venue, avec la même allure, sur un coup de tête. Berlin auf Wiedersehen ! Tschüss ! Tschüssi ! Adieu !
Aujourd’hui je ne me réveille plus dans le Berlin made in Germany mais dans le creux du ventre de là où je suis née, retour en France momentanément.
Berlin, même de loin, ma bouche porte encore le goût sucré de tes Berliner, Berlin même ailleurs, je te souris encore.
Ich « war » ein Berliner. Par ce billet, je rembobine la bande de tes sons et celle de tes images.
En me souvenant, j’écarterai les bras de toute leur longueur dans l’immensité de ton Kufürstendamm. Je chercherai tête en l’air, la pointe de ton Alexanderplatz. C’est la démarche chaloupée, branchée et bohème que j’humerai ton Prenzlauer Berg, j’emprunterai l’énormité de ton Tiergarten, je courrai aux fesses de tes lapins, je nourrirai tes écureuils, je croiserai tes renards, j’irai faire la française hautaine au gourmet de tes Galeries Lafayette, je longerai les restes de ton mur, je plongerai dans ta Spree, c’est métaphorisée en Hipster que je glanderai dans les rues de ton Kreuzberg, je boirai tes bières Berliner Kindl, Astra, Paulaner Weisse…et terminerai par quelques gouttes de ton Jägermeister, je débattrai dans les bars de ton Neukölln, je titillerai le diable de ta Teufelsberg, je croquerai dans les Döner de tes quartiers turques, je trottinerai sous les tilleuls de ton Unter den Linden, je grimperai sur ta petite colline d’histoire de ton Humboldthain, je redonnerai la couleur rouge à mes joues sur les pistes de ton Tempelhof, je m’endormirai dans tes buissons, je relirai le totalitarisme et la modernité d’Hannah Arenth dans ta rue qui porte son nom, j’irai dans ton Est et dans ton Ouest, je me courberai dans tes tunnels, je m’isolerai dans tes ex-bunkers et abri-aériens, je supporterai ton équipe de foot, ta Mannschaft sur ta Strasse des 17.juni, je poserai le pied sur tes Stolpersteine(1) , j’éviterai les pirates pour rejoindre ton Île des musées, je sauterai à cloche pied au-dessus de tes Kindergarten (jardin d’enfants), je fixerai du regard le Buste de ta Néfertiti, je m’assiérai dans tes cinémas, je pesterai sur les touristes amassés devant ton Checkpoint Charlie, je me perdrai dans le gris de ton Mémorial de l’Holocauste, je lirai dans tes bibliothèques, je ferai face à ton Reichstag pensant que je n’ai toujours pas gravi sa coupole, je croiserai ta chancelière à la caisse du supermarché Ullrich de Mitte, je prendrai tes Ubahn (métro) à toute heure du jour comme de nuit, je trinquerai avec tes habitants dont certains sont devenus mes amis, je me baignerai dans les lacs de ton Weißensee, j’écouterai jouer mon guitariste au bord de ton canal, je danserai sur les toits de tes immeubles, je m’abasourdirai de vin chaud dans tes marchés de Noël, je m’émotionnerai dans ton Philharmonie, je chanterai à ton karaoké, je chinerai dans tes brocantes, je ferai le mur dans ton Mauerpark, je trépignerai au son de tes feux d’artifices…
L’étranger d’Albert Camus
Quand Meursault reçut comme proposition de son patron de partir d’Alger pour aller travailler au bureau qui allait s’ouvrir à Paris, Albert Camus écrivait : […] « Il m’a demandé alors si je n’étais pas intéressé par un changement de vie. J’ai répondu qu’on ne changeait jamais de vie, qu’en tout cas toutes se valaient […] » Immensément grande, donc, restera la valeur de ma vie berlinoise !
Chanson de Marlene Dietrich Das ist Berlin
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